Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/706

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grâce pour toi-même, Et grâce pour moi ! » Meyerbeer est enchanté, Meyerbeer s’écrie : « Je tiens mon air ! » Il le tenait. Et M. Scribe de conclure, avec autorité : « Vous voyez, monsieur, que, dans certains cas, un peu de bon sens et une idée juste valent mieux que la poésie. » Là-dessus, ni l’univers ne s’écroula, ni le nouveau Prométhée ne consentit à exhaler même une plainte.

M. Scribe ne pouvait dire un mot qui ne fût, aux idées de Banville, une offense. Quelque chose qui vaut mieux que la poésie : une offense. Et, quoi ? le bon sens ; oui, lorsque Banville a toujours prétendu que la poésie dût être et ne pût être qu’un délire. « Saisi du désir véritablement démoniaque de me faire renier ma foi, il s’efforçait de me prouver à quel point la poésie est un art frivole et comme elle devient inutile et nuisible lorsqu’il s’agit de convaincre les esprits et d’émouvoir les âmes. Certainement j’aurais pu rétorquer cette assertion en citant l’exemple du roi Orphée ; mais je m’en gardai bien, par pudeur, car il est odieux d’avoir trop facilement raison. » Bref, entre M. Scribe et Théodore de Banville, ce qu’il y a, c’est plus qu’un malentendu, c’est Orphée. Une querelle de ce genre est une haine qui vient d’assez loin pour qu’on n’essaye pas de l’apaiser jamais. C’est la rancune des siècles. Et, sans doute, avec Orphée, l’on a trop facilement raison. Le fils d’Œagre et de la muse Calliope ou, selon d’autres généalogies, le fils de Clio et d’Apollon déroule nos certitudes. Son œuvre nous échappe ; et son histoire, également. Je crois qu’au seul nom d’Orphée M. Scribe se fût égayé, se fût enorgueilli peut-être, sentant que Meyerbeer eût éconduit ce collaborateur aussi promptement que Delavigne. Banville a refusé à M. Scribe une occasion de se pavaner ou de rire. Et lui ne sourit même pas ; et les malheurs d’Orphée ne l’avertissent pas de redouter un sort funeste. Orphée, pour Banville, c’est le romantisme : autant dire, sa religion ; et lui-même dit, son idolâtrie. Crémieux donne au théâtre cette impiété d’Orphée aux Enfers : sacrilège ! Et, ce jour-là, Banville ne plaisante pas : « Orphée attendrissait les lions, les rochers et les tigres ; mais, après qu’il fut déchiré par les bacchantes et que, roulée par les flots de l’Èbre, sa tête sanglante fut pieusement recueillie par une jeune fille, il n’a pu attendrir les Israélites. La farce de M. Crémieux est une œuvre de haine religieuse… » Il va le démontrer. Pour le démontrer plus hardiment, il a consulté Louis Ménard, « le savant mythologue, » et su par lui que la religion des hébreux était seule inconciliable avec « les croyances héroïques des Hellènes ; » voilà pourquoi Crémieux et les amis de Crémieux ne se tiennent pas d’insulter « tout ce qui est la