Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/707

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tradition des races latines, les origines de notre poésie, les dieux d’Homère et d’Eschyle, dont ils font des paillasses costumés pour suivre le bœuf gras du carnaval. » Non, Banville ne plaisante pas !

Orphée et le romantisme ? Orphée est le symbole du romantisme ; et premièrement par ceci, que le divin poète de Thrace obéit à l’unique impulsion du génie. Poète inspiré, poète sans étude et sans habileté… L’habileté est, en ce monde perverti, ce que Banville a détesté le plus vivement. L’habileté ? mais il en accorde l’honneur abominable à M. Scribe. Et, pour glorifier le grand Eschyle par-dessus tous les dramaturges, il lui dénie l’habileté, cette misère dégradante et qu’il a le désespoir de remarquer dans l’œuvre de Sophocle déjà, dans l’œuvre d’Euripide, plus maligne encore. L’habileté : négation de la poésie. De la part de Banville, auteur des Odes funambulesques, où l’habileté prodigue ses plus extraordinaires prouesses, et de la part de Banville, auteur du Petit traité, ce trésor de toutes habiletés poétiques, mi tel mépris des stratagèmes déconcerte. Il répondra : — Je ne suis point Orphée ; mais Orphée est mon dieu, Orphée que j’appelle aussi Hugo. Et ce n’est pas à l’intention d’Orphée ni d’Hugo, certes, que j’ai voulu rédiger les recettes d’écrire en vers !… Puis, l’habileté de Banville, on a grand tort si l’on ne voit qu’elle et si l’on n’accepte aucunement ces lignes de Mallarmé que cite avec raison M. Victor Barucand : « Aux heures où l’àme rythmique veut des vers et aspire à l’antique délire du chant, mon poète, c’est le divin Théodore de Banville, qui n’est pas un homme, mais la voix même de la lyre. Avec lui, je sens la poésie m’enivrer, — ce que tous les peuples ont appelé la poésie, — et, souriant, je bois le nectar dans l’Olympe du lyrisme… » Enfin, modeste avec la plus jolie élégance, avec autant d’esprit que d’élégance, le poète des Exilés avoue qu’il étudie et propose d’enseigner les règles de l’art sublime ; ce n’est pas qu’il omette un instant la principale vérité, que toute poésie est fille du génie, dernier mystère.

En 1843, Banville avait vingt ans et il était le poète des Cariatides. Il habitait, avec son père et sa mère, la maison de Jean Goujon, rue Monsieur-le-Prince. Dans sa chambre, décorée de dessins, d’estampes, et qu’un divan de soie bleue embellissait, il recevait souvent deux poètes à peine un peu plus âgés que lui : l’un qu’il admire sans nous étonner, Charles Baudelaire ; l’autre qu’il admire, et non pas sans nous étonner, Pierre Dupont. Un jeune Pierre Dupont qui, d’ailleurs, ne ressemble guère à l’image que nous avons de lui : l’air quasi anglais, de beaux cheveux châtain clair et d’une coupe savante, de