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aussi, îe condamner : au moins noter l’usage et l’abus qu’il a fait de la poésie, d’une certaine poésie et conçue un peu comme un délire. Abondante à merveille, la poésie déborde, envahit ce qui n’est pas son domaine, la critique peut-être, et en tout cas la politique ou la sociologie. La glorification sera de Banville ; mais non le reproche. Il ne tolère pas qu’on assigne un domaine à la poésie, qu’on l’enferme dans des bornes, et qu’on loge ou qu’on emprisonne dans un palais le grand Orphée, maître du monde, ciel et terre.

Il y a, pour la comparaison d’Orphée et du romantisme, encore un trait dont Banville est touché. Laissons, pour le moment, les Bacchantes et le traitement qu’elles ont infligé au poète. Avant cela. Orphée traîne après lui, et plus même que Pierre Dupont, les foules : tigres et rochers, ce sont les foules, tantôt furieuses, parfois inertes. Eh ! bien, en 1830, on a vu les foules eûmes par la poésie, moins dociles certainement que les rochers et les tigres à la chanson d’Orphée, alarmées pourtant et qui cèdent à une impulsion qui vient des poètes. Hugo et Lamartine ne sont point Isolés, souverains artisans du verbe, dans leur travaU : leurs poèmes s’adressent à leur époque tout entière et gouvernent des esprits ; Musset gouverne des cœurs. Ni les esprits n’auraient et la même fougue et la même tendance, ni les cœurs n’auraient cette mélancolie ou cette ardeur, si les Hugo, les Lamartine et les Musset ne les avaient excités ou alanguis, et dirigés. Le romantisme, avec tous ses penseurs, qui sont — philosophes ou orateurs — des poètes, modifie le désir universel, modifie la notion de rindiidu, celle de l’État et, en d’autres termes, crée de la révolution. Banville, à ce sujet, ne discute pas : il approuve. Et il n’approuve pas seulement, mais il chante : « L’art est toujours, par sa nature même, révolutionnaire… Le poète n’a pas d’autre mission que d’exalter la passion, l’héroïsme et l’efTort de l’âme humaine luttant au nom d’un idéal de beauté ou de devoir contre les nécessités sociales… » Comme il chante, on ne va point le chicaner, l’inviter à ne pas confondre avec un idéal de devoir un idéal de beauté, l’engager à considérer les « nécessités sociales « ainsi que des nécessités ; non, car il chante : « La grandeur, la nature divine de l’individu a le droit de se souvenir de son origine céleste et par conséquent… » il chante… « par conséquent d’être héroïque, tandis que la société, n’obéissant qu’à des intérêts, est nécessairement implacable et mesquine… Et toujours les initiateurs de l’humanité, les voyans, les poètes… les Thésées, les Hercules… la Liberté, la condamnation définitive de toutes les tyrannies… Et, Molière,… qui