jeune Russie fût bien jeune, et plus jeune encore qu’elle ne l’est en effet, pour n’avoir pas vu que ce qu’il y avait dans les calculs de Berlin, dans ces intentions déguisées en attentions, c’était de venir à bout d’elle sans coup férir, et, par elle, mise hors de cause, de venir à bout de ses alliés. Surtout il faudrait qu’elle fût par trop jeune pour s’en émouvoir, car c’est double plaisir de tromper un trompeur, et le plaisir est pur de tout mélange, exempt de tout remords, quand on ne le trompe qu’à force de loyauté.
Pareillement, les Russes ne seront pas surpris que maintenant l’Allemagne change de jeu. Hindenburg recommence à faire sa grosse voix, à rouler ses gros yeux, à montrer son gros poing, à gonfler toute sa grosse personne. Il est possible, comme on l’annonce, que, revenant à sa vieille idée, en entêté qui y tient d’autant plus que longtemps il n’en a eu qu’une, il essaye de percer par Riga vers Pétrograd, pour y refaire un État stockpreussisch, puisqu’aussi bien, la Révolution se gagnant, c’est prudence pour les voisins que d’écarter d’eux les risques de contagion. Mais le souffle irrité du colosse n’éteindra pas, il ne fera qu’exciter la flamme qui brûle dans le corps débile et maladif de Kérensky. Déjà le dictateur a entrepris dans le secteur septentrional l’œuvre de résurrection qu’il a si merveilleusement menée à bien sur le Dniester. La Russie a beau être grande et composée de peuples divers : une même âme peut lui être inspirée, et ce peut être l’âme d’un seul homme. Néanmoins, qu’elle y prenne garde : ce n’est pas l’heure de dépenser ou de disperser en luttes intestines si peu que ce soit de son pouvoir. L’essentiel, pour un pays qui vient de faire une révolution et qui continue de faire la guerre, n’est pas d’avoir tel ou tel gouvernement, le gouvernement de tel ou tel parti, mais de ne pas cesser une minute d’en avoir un et de ne pas souffrir une minute d’en avoir plusieurs, ce qui revient à n’en avoir pas. Le pire des gouvernemens, en temps de guerre plus qu’en tout autre temps (et la Révolution y expose doublement), est, répétons le mot de Carlyle, « le Gouvernement du Pas-de-Gouvernement. » Si le gouvernement est défaillant, ou incertain, ou faible, ou flasque, eût-on d’ailleurs toutes les chances de vaincre, il y a dans la nation une fissure par où la ruine peut entrer. Non plus que des querelles civiles, et bien moins encore, la guerre n’est l’heure des « autonomies » : elle doit tendre les ressorts, unifier les efforts, elle coordonne et subordonne, elle concentre et ne décentralise pas. Autrement, on se met soi-même hors ses lois, on abolit en soi les conditions de la victoire, et, dans le vain espoir de faire