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une centaine d’anarchistes, comprenant des ouvriers, des matelots et des femmes, parcourent les rues de la ville, précédés de drapeaux noirs et portant des fusils et des grenades à mains…

Un télégramme d’Helsingfors annonce que l’anarchie est complète dans la ville d’Abo. Tous les membres de la municipalité et le Sénat finlandais sont partis pour avoir un entretien avec les ouvriers et essayer de rétablir l’ordre.

L’insubordination règne tout le long des rives de la Baltique. Qu’adviendrait-il de nous si les Allemands s’avisaient d’y tenter une descente ? Les promesses, les sermens des marins d’Helsingfors à Kérensky sont-ils déjà oubliés ?…

20 mai/2 juin. — Les journaux s’occupent longuement de Cronstadt. Le Conseil semble pris de folie. Il demande que Nicolas II soit transféré dans cette ville avec toute sa famille et que l’Assemblée Constituante s’y réunisse.


Le beau-frère d’une danseuse, qui occupe l’appartement situé au-dessus du nôtre, a été quatorze fois menacé de mort ! Il a perdu la raison et il faut le conduire par la main, comme un enfant…

Les délégués des ouvriers et soldats se sont rendus à Cronstadt. C’est le jour de la Pentecôte. Il fait beau. La navigation est agréable sur la Néva où les brises printanières courent en un frisselis léger. Du ciel bleu, des drapeaux rouges, des chants, quelques bourgeons qui pointent aux branches des arbres… On aurait envie de se sentir heureux, s’il ne s’agissait pas d’un pèlerinage d’exaltés vers une ville en révolte ; si les Allemands ne tenaient pas entre leurs griffes la Pologne et tant d’autres régions dévastées ; si nous n’étions pas à deux doigts de la défaite, de la famine, si… si — ! Comment peuvent-ils oublier tout cela ?

A midi, Tchkhéidzé arrive, accompagné des ouvriers des usines Oboukoff et Poutiloff. Couronnes déposées sur les tombes des victimes, discours, tout le cérémonial sur lequel trois mois de révolution nous ont déjà blasés. Partout des marins, avec leurs bérets à rubans flottans, leurs cocardes rouges, et des visages plus hardis encore, plus déterminés, plus inquiétans que ceux des soldats de Pétrograd… Des meetings s’organisent sur les places. On demande à Tchkhéidzé de prendre