Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Une autre correspondance, ou mieux une pénétration mutuelle, continue et féconde, est celle qui, dans les Nô, mêle et confond, pour l’expression la plus adéquate de la pensée et du sentiment, les trois arts : poésie, musique, danse mimée. Tandis que la poésie traduit la pensée religieuse et bouddhiste dont s’inspire ce théâtre et les traditions ou légendes destinées à illustrer cette pensée, la musique, écho elle-même des plus profonds et lointains sentimens de la race, lamine et prolonge la pensée à laquelle la danse rythmique et mimée vient enfin ajouter le caractère plastique et sculptural. Si la poésie est, dans le Nô, le mode d’expression et le truchement de la pensée religieuse, si la musique est l’interprète du sentiment et de l’âme, c’est par la danse que se traduit, s’incarne et vit l’action même. La danse est, comme on l’a vu dans les précédentes analyses des différens Nô, le moment le plus vif, la crise même du drame, l’acte et le geste par lequel cette crise se résout. Par le rythme et la mimique, elle prête au drame tout ensemble le mouvement et cette sorte de représentation stable et concrète que donne la fixité d’une attitude. Elle est comme un mouvement sculpté, et c’est dans son dernier pas, dans son dernier geste, dans sa dernière attitude, qu’au dénouement l’action se fixe et s’immobilise en ce repos et cette éternité de beauté que l’art vise et atteint. — L’art japonais, volontiers raffiné, compliqué, et chez lequel les recherches, les intentions, les poursuites de l’idéal et de la beauté s’enveloppent et s’emboitent à l’infini les unes dans les autres, a fait ainsi de la danse, à côté et presque au-delà de la poésie et de la musique, un mode d’expression qui, dans aucun autre théâtre, n’a eu ce caractère, cette importance, je serais tenté de dire cette domination. Mais j’ajoute aussitôt que, malgré cette domination, et malgré le rôle qu’elle a pris, la danse n’est elle-même que le complément et comme l’achèvement de la pensée et de l’expression qu’au cours du drame la poésie et la musique se sont efforcées de rendre. Les trois arts demeurent étroitement associés dans cette merveilleuse synthèse qu’est le Nô.