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la richesse de la France, et aussi sa douceur, sa parure et sa gloire.

Il faut cultiver la terre qui nous nourrit et pourvoit à tant de nos besoins. L’idéal serait qu’en ce moment elle nous pût suffire. Nous sommes loin de compte. Dernièrement, de la pointe de Ville-ès-Martin, qui domine la passe de la Loire, devant le port de Saint-Nazaire, je suivais le mouvement des navires, à l’entrée et à la sortie, les uns remontant lourdement, enfoncés jusqu’aux hublots, sous le poids des grains qui remplissaient leurs flancs, les autres glissant, légers, rapides, la coque presque tout entière hors de l’eau. Le spectacle, dans sa précise signification, ne laissait pas d’être impressionnant. C’est la schématique image de notre déficit : seule l’énergie de notre effort agricole peut l’atténuer ou tout au moins empêcher qu’il ne s’aggrave.

Certes, les difficultés sont grandes. Les hommes sont partis, tous les hommes aux bras robustes, qui chaque jour se mesuraient avec la terre et, dans un rude corps à corps, la forçaient à livrer ses trésors. Ce sont eux qui, là-bas, aidés de leurs frères d’armes, ont creusé ce long fossé, qui de la mer du Nord aux Alpes arrête le Barbare, et d’où chaque jour ils s’élancent pour le repousser. Ils ne savent pas tous la valeur infinie de ce qu’ils défendent, le Droit, la Justice, la Liberté et la Spiritualité humaines, la vraie civilisation, le vrai Dieu. Mais tous ont conscience de défendre la terre qu’ils aiment. Ne faut-il pas que de notre côté nous défendions cette même terre de la friche, de l’horrible friche, afin qu’elle accueille leur retour avec un beau sourire de joie et de fécondité ?

Le départ des hommes n’a laissé que des vieillards, des femmes, des enfans, des insuffisans de santé. La terre est restée en détresse. Cette détresse varie selon les régions, les cultures, le mode de travail. On la devine moindre où la forêt et la prairie dominent qu’ailleurs où c’est le labour. D’une façon générale, la grande et la petite propriété doivent être moins embarrassées que la moyenne : dans la première, une organisation bien calculée, des méthodes scientifiques, un outillage riche et varié réduisent de beaucoup la proportion de main-d’œuvre nécessaire à chaque hectare cultivé ; dans l’autre, il y a presque toujours une surabondance de bras qui se porte sur les terres voisines sous forme de journées.