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On peut dire encore que les départemens à belle natalité souffrent moins que les autres. La famille agricole nombreuse, malgré le lourd et sanglant tribut qu’elle paye à la guerre, se défend bien sur les sillons dans ces jours d’épreuve. D’abord il y a l’abondance des jeunes, la marmaille, que le service militaire ne touchera pas : utilisée, dès l’âge de sept ans, pour la garde des animaux, elle rend, vers celui de douze, les plus grands services, quand le petit pâtre est devenu laboureur. On y voit aussi les oncles et les tantes, vieux garçons et vieilles filles, laissés pour compte par le mariage, personnages modestes et effacés, en temps ordinaire, mais que la disparition du père met en beau relief. Que de fois dans le passé, la maison étant décapitée par une épidémie « de mauvaise fièvre » ou de variole, les avons-nous vus sauver la famille du naufrage en maintenant les enfans groupés autour du foyer ! Nul doute qu’aujourd’hui, dans plus d’une ferme de Bretagne ou de Vendée, le même phénomène familial ne se produise.

Du reste, quelle que soit la contrée, les difficultés varient selon l’importance du personnel qui reste à la maison et surtout sa qualité. En règle générale, une situation normale, tout à fait bonne, est exceptionnelle ; on se tient pour satisfait quand elle est passable ; elle est souvent pénible, parfois mauvaise et même désolée.


Cependant la défaite, qu’on pouvait craindre, n’est pas venue. La lutte a été résolument engagée et se continue chaque jour avec de beaux avantages. Il a fallu pour cela deux choses : du courage et de l’ingéniosité.

Le courage n’a pas manqué. L’exemple est peut-être venu des femmes qui ont pris les devans. Tout le monde a suivi. La formule est très simple : chacun fait tout ce qu’il peut et même bien davantage. On voit à ce régime de travail les vieillards malgré leur usure, les enfans malgré leur tendreté, les femmes malgré la faiblesse et les misères de leur sexe, les autres malgré la maladie et l’infirmité. L’élan initial fut admirable : le rare et le beau c’est que, en dépit de la fatigue et de la durée, il se maintient. Au fond tout cela fait partie du grand phénomène de conscience collective, qui constitue notre effort national, l’horreur instinctive de la mort, la volonté de vivre.