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Strozzi douze cents lansquenets pour aider les pionniers dans leur travail. Dans les cas critiques, toute la troupe, sans distinction d’armes, comme cela s’est toujours fait dans la guerre actuelle, était employée à remuer la terre. L’eau se trouvait près du sol, les blés fort heureusement étaient mûrs et l’on put placer des gerbes en guise de fascines pour surélever la masse couvrante. « Et demeurâmes sept ou huit jours avant que nous fussions à deux cents pas de la ville pour ce que les nuits étaient courtes et, dès que le jour paraissait, les ennemis nous foudroyaient dans les tranchées, et n’y avait ordre d’y travailler que la nuit. » Monluc infatigable dirigeait, surveillait, activait les travaux, ne quittant pas le chantier. Le maréchal Strozzi lui-même n’en bougea jamais, sinon pour aller de trois jours en trois jours à sa tente, afin d’y changer de vêtemens.

Strozzi avait d’ailleurs autant de confiance, sinon plus, dans l’expérience et le savoir-faire de Monluc que dans la science de son ingénieur ; aussi lui laissa-t-il faire des tranchées à sa manière, « car nous les avions au commencement faites un peu trop étroites à l’appétit d’un ingénieur. » La tranchée étroite offre plus de sécurité : encore faut-il qu’on puisse y circuler et y séjourner sans trop de difficultés. Une troupe d’infanterie occupant une tranchée trouvera rarement à sa guise l’œuvre du Génie et ne lui ménagera pas les critiques. Ces rivalités inoffensives existaient déjà au XVIe siècle, et il n’est pas étonnant d’en trouver la trace dans les Commentaires. Monluc eut le mérite d’inventer au siège de Thionville une disposition ingénieuse pour le tracé des tranchées et il la décrit avec complaisance. « Je faisais, de vingt pas en vingt pas, un arrière-coin tantôt à main gauche et tantôt à main droite ; et le faisais si large que douze ou quinze soldats y pouvaient demeurer à chacun avec arquebuses et hallebardes. Et ceci faisais-je, afin que, si les ennemis me gagnaient la tête de la tranchée et qu’ils fussent sautés dedans, que ceux qui étaient en arrière les combattissent ; car ceux des arrière-coins étaient plus maîtres de la tranchée que ceux qui étaient au long d’icelle, et trouvèrent Monsieur de Guise et le maréchal fort bonne cette invention. »

Les arrière-coins, appelés aussi par Monluc des « encoignures, » marquaient en effet un progrès réel dans la guerre