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de dix mois (juillet 1554-avril 1555), et il tint bon pour que l’acte qui remettait la place aux troupes impériales fût signé par les négociateurs siennois. « Jamais, déclara-t-il, le nom de Monluc ne se trouvera sur une capitulation. »

Au XVIe siècle, la science de la fortification commençait a n’être plus seulement le fait d’ingénieurs italiens ou espagnols. Des capitaines s’étaient formés aux méthodes du célèbre Pedro de Navarro[1] et y avaient même apporté des perfectionnemens. Monluc, doué d’un grand bon sens, fort d’une expérience acquise au cours des guerres contre les Impériaux en Italie et en France et contre les réformés en Guyenne et en Saintonge, était devenu un maître dans la conduite de la guerre souterraine, dans l’art de la sape. En outre, comme nous le verrons, il sut mieux qu’aucun chef obtenir d’une troupe le pénible effort qu’exige tout travail entrepris pour se retrancher en présence de l’ennemi.

C’est la terre et encore la terre qu’il faut creuser et relever en masse couvrante, tantôt détrempée par la pluie et sans consistance, tantôt dure et « pleine de petits cailloux, de sorte que cent hommes n’eussent pas fait en un jour vingt pas de tranchée. » Ce sont les gabionnades, les fascinages, les plates-formes qu’il faut construire en amenant, à grand renfort d’attelages, les matériaux des bois voisins.

Le siège de Thionville (juin 1558) nous fait voir le sire de Monluc donnant sa mesure comme ingénieur et en remontrant même aux gens de métier. La place était défendue par une garnison de deux mille Wallons et Espagnols. Après une reconnaissance, le duc de Guise et le maréchal Strozzi décidèrent qu’il fallait s’approcher des remparts éloignés de 600 pas et commencer les tranchées le plus près possible de la ville. On gagne donc un village, mais le terrain était plan et découvert « de façon qu’un oiseau ne pouvait paraître qu’il n’y fût vu. » Les Espagnols aperçoivent la troupe qui s’avance, et aussitôt les batteries de la porte de Luxembourg entrent en action, ballant le village dont ils ne laissent pas une maison debout « et étions contrains de nous tenir dans les caves. » Si loin que l’armée fût encore des remparts de Thionville, il fallut bien commencer à ouvrir boyaux et tranchées. Monluc demanda à

  1. Sur Pedro de Navarro, cf. Brantôme, Grands Capitaines estrangers, éd. Lalanne, t. I, p. 136, 137.