a quelque trois cents ans, est un des grands saints guérisseurs du Maroc, et son renom attire autour de sa kouba tout ce que la maladie peut jeter d’infortune sur un lieu réputé pour ses miracles. Son mausolée s’élève au fond du cimetière, tout près du grand mur crénelé qui court le long du rivage, et dans le bruit même des vagues. Du dehors, on n’aperçoit qu’une vaste enceinte de chaux vive, qui forme autour du tombeau une sorte de fondouk, d’hôtellerie et d’hôpital. Là, dans la cour intérieure et les petites chambres ménagées dans les murs, s’entassent les malades accourus de partout pour implorer la baraka du saint. Couchés ou accroupis au pied du catafalque qui recouvre le cercueil, ils attendent des jours, des semaines, et quelquefois des mois, que le Saint leur envoie la guérison, leur révèle en un songe par quel rite magique ils arriveront à se guérir, ou leur intime l’ordre de s’en retourner chez eux.
Et là encore, près du cercueil, dans des cellules, barricadées d’épaisses portes de bois, des fous attendent, eux aussi, enchaînés à de longues chaînes de douze à quinze kilos qui descendent du plafond et viennent se river à leur cou. A vrai dire, ce n’est pas eux, les pauvres fous, qu’on enchaîne d’une façon si barbare, mais le démon qui les habite. Le fer aimante les esprits, les attire hors du corps des hommes. La baraka du Saint, toujours présente dans la nuit de ces cellules sanctifiées, conjure aussi le mauvais sort. Et voilà pourquoi, aussi longtemps que le fer n’aura pas perdu son magique pouvoir, ni la baraka sa vertu, la folie continuera de porter sa chaine au cou, au bord de cette grève, dans le tombeau de Sidi ben Achir, et dans bien d’autres de ces blancs mausolées, devant lesquels je passe tous les jours, à Rabat, sans savoir que dans ces blancheurs, au fond de quelque obscure cellule, il y a des malheureux enchaînés.
Tout cela, je ne l’ai pas vu de mes yeux, car il ne m’est point permis, à moi d’une autre religion, de pénétrer dans cette hôtellerie achalandée par un cercueil. Mais ce que je peux voir tous les jours, devant la porte, sous le long vestibule qui meneaux endroits interdits, c’est le va-et-vient lamentable des pèlerins qui, bien plus que la mort, attristent irrémédiablement ce lieu de grandes rêveries. A leur foule se mêle le peuple des mendians, — une centaine peut-être, hommes et femmes, jeunes et vieux, déjetés ou bien portans, — qui ont établi là