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soulevant autour d’eux des tourbillons de poussière rouge. Dans ce brouillard de cendre embrasée, le Sultan avait disparu. On ne voyait plus par moment que le grand parasol vert, des étriers, un fer de lance, la boule de cuivre d’un étendard, les musiciens aux couleurs d’arc-en-ciel, dont les robes flottantes couraient à la débandade, pareilles à des notes brillantes égarées dans la lumière ; et cahotant parmi les palmiers nains et les fondrières du plateau, dans la cohue des ânes, des chevaux, des piétons, de tous les burnous accourus de Rabat et de Salé pour assister à la cérémonie, une vieille automobile aux rideaux strictement tirés où se trouvait la mère du Sultan.

Arrivé devant le mur de toile qui, tout autour de sa tente, formait une mosquée aérienne, Moulay-Youssef mit pied à terre. Il pénétra sous sa tente, et devant un petit mur de terre sèche qui indique la direction de la Mecque, et autour duquel, d’habitude, des moutons viennent chercher l’ombre, il conduisit la prière, — la même prière que tous les jours, chantante, courte, passionnée, réglée une fois pour jamais, la même pour le dernier fidèle et pour le Commandeur des Croyans. Puis, la cérémonie finie, il remonta sur son cheval, pour venir se placer au milieu du carré formé par sa Garde noire. Et alors se déroula un étonnant cérémonial qui, sur ce plateau d’Afrique, fit surgir tout à coup du fond d’un passé mort, qu’on pouvait croire inanimé pour jamais, toute une vieille civilisation, qui fut aussi la nôtre, mais que, depuis des centaines et des centaines d’années, nous avons mise au tombeau…

Immobile sur son cheval blanc au beau harnais orange, toujours éventé par les serviettes claquantes et protégé par le grand parasol, le Sultan s’était arrêté au milieu du grand carré rouge, entre ses deux musiques qui continuaient de mêler, sans se soucier l’une de l’autre, leurs cuivres, leurs tambours, leurs flûtes, leurs trompettes et les accords de Sambre-et-Meuse aux nostalgies d’Andalousie.

Trois cavaliers entrèrent dans le carré, portant au bout des longues hampes, surmontées des boules de cuivre, d’immenses nappes de soies usées, bleu, amarante et mordoré, brodées de versets coraniques, et qui descendaient jusqu’à terre. C’étaient les étendards sacrés de Moulay-Idriss, qui, pendant toute l’année, sous la lumière des veilleuses, restent à Fez, au cœur de la ville impériale. Aux jours de grande fête, on va les