Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notre ennemi. On l’avait vu en 1806 professeur à l’Université de Heidelberg, puis il était revenu à Coblence en 1808, avait salué l’invasion comme une délivrance, et approuvé les traités de 1815. Pour récompenser son zèle, la Prusse l’avait nommé directeur général de l’enseignement dans le Rheinland. Mais l’accord n’avait pas duré, et depuis quelque temps déjà, il menait une vigoureuse campagne dans son journal le Merkur. C’est lui qui se présenta devant Hardenberg, à la tête d’une délégation, et porteur d’une pétition pour laquelle il avait réuni 5 000 signatures. L’entrevue eut lieu à Coblence au printemps de l’année 1818. Hardenberg répondit aux réclamations par de bonnes paroles. On lui demandait l’accomplissement des promesses de 1815, l’appointement des deux clergés, l’amélioration de l’enseignement primaire, l’adoucissement de la conscription prussienne, la protection de l’industrie et du commerce. Le gouvernement ne fit rien : il infligea seulement un blâme, au président supérieur de la province, coupable d’avoir toléré la quête des signatures, faisant ainsi comprendre que les remontrances lui déplaisaient. Goerres redoubla. Peu de temps après, il manifesta son opposition en applaudissant a l’assassinat de Kotzebue, puis il publia en 1819 un violent factum : L’Allemagne et la Révolution. Comme on le menaçait d’arrestation, il prit la fuite et se réfugia… en France, à Strasbourg. Il y montra assurément encore quelque insolence, mais il était dorénavant l’ennemi juré de la Prusse.

L’armée prussienne surtout irritait les Rhénans. Elle s’était rendue impopulaire du jour où elle avait mis le pied sur la rive gauche. Pour ses débuts, dans les premiers mois de 1814, elle avait réquisitionné des chevaux, fait verser de l’argent, et levé des hommes. A Clèves, malgré les bonnes dispositions de la ville, on ne voulait pas oublier les exactions auxquelles s’était livré un certain major von Reiche, qui s’y était établi à la tête d’un corps franc. Depuis, on se plaignait d’un service militaire trop lourd, imposé sans ménagement. On s’y soumettait par la force, dans l’impossibilité de s’y soustraire, mais la mort dans l’âme. L’ancien citoyen français, dont le fils était incorporé dans les troupes du Hohenzollern, parlait de lui comme d’un bien qu’on lui avait ravi. Er ist bei den Preussen, disait-il : « il est chez les Prussiens, » et cette seule phrase fait exactement comprendre quel abime séparait les deux peuples. Dans les villes, les