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conflits avec les civils étaient extrêmement fréquens ; à chaque instant, des collisions et des rixes troublaient la paix des rues. A Mayence, où plusieurs contingens de la Confédération se trouvaient réunis, les Prussiens surtout étaient détestés. Le docteur Bockenheimer avoue qu’ils étaient poursuivis par les quolibets des habitans : eux, au contraire, persuadés qu’ils étaient les soldats de la première armée du monde, se raidissaient dans leur dignité et prenaient fort mal les plaisanteries dont ils étaient l’objet. Ce n’est pas une caricature que ce Feldwebel Hinke dont Clara Viebig nous a tracé l’inoubliable figure[1], sanglé dans son uniforme, pétrifié devant ses supérieurs, incorruptible dans le service, mais injurieux pour ses subordonnés, de misérables Rhénans qui ne veulent pas apprendre le pas de parade, et ne voient nul honneur à porter la tunique de Sa Majesté.

Les événemens qui se passèrent à Cologne en 1846 jettent une lumière très crue sur les rapports des annexés et des conquérans. Le 2 août, jour de la fête patronale de l’église Sainte-Brigitte, des policiers et des gendarmes en grand nombre occupèrent les rues de la ville. Le 3, comme les enfans leur avaient lancé des pétards, ils chargèrent la foule sabre au clair. Cinquante hommes du 28e régiment d’infanterie accoururent, puis cinquante encore, et une compagnie du 10e ; baïonnette au canon, ils firent évacuer la place du Vieux-Marché et barrèrent les rues en distribuant des coups de crosse, accueillis d’ailleurs par une grêle de projectiles. L’un des chefs de l’opposition, le marchand de cigares Baveaux, reçut des coups de sabre, et les perquisitions commencèrent. Un nommé Herbertz, aubergiste, demanda à la police d’entrer chez lui, afin de bien prouver que de son immeuble personne n’avait lancé de pierres sur les soldats. Pendant que l’on visitait son appartement, la troupe à son tour voulut forcer la porte. Le dialogue qui s’engagea entre Herbertz et l’officier commandant le détachement, tel qu’il nous est rapporté par le procès-verbal[2], est caractéristique. « Je ne laisse passer personne, car la police est déjà chez moi, et de plus je donne ma parole d’honneur que de ma maison aucune pierre

  1. Clara Viebig : Die Wacht am Rhein.
  2. Bericht über die Ereignisse zu Köln vom 3es und 4es August 1846 und den folgendem Tagen (Mannheim, chez II. Hoff, 1846). On croirait lire le récit des événemens de Saverne en 1913.