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plume[1]. Il faut, à travers beaucoup de niaiseries et un pédantesque fatras, retrouver les notes qui appartiennent à Fragonard ; on y parvient sans avoir à solliciter beaucoup le texte, car son influence est sensible à toutes les pages.


I

Avec son égoïsme un peu balourd et ses prétentions de mécène, ce n’était point un méchant homme que messire Pierre-Jacques-Onésyme Bergeret de Grancourt, trésorier général de la généralité de Montauban, associé libre de l’Académie royale de peinture et de sculpture, seigneur de Négrepelisse en Quercy et possesseur de la belle terre de Cassan en Parisis. Fils d’un fermier général fabuleusement riche, il collectionnait de bonnes peintures, dessinait à ses heures, grattait même la planche de cuivre, et daignait recevoir, en son hôtel de la place des Victoires, quelques artistes qu’il protégeait. Fragonard était des plus appréciés pour sa gaîté et son esprit et, le jour où Bergeret voulut consacrer ses titres d’amateur par le voyage classique d’Italie, il trouva tout naturel de lui demander de le suivre. Un peintre était nécessaire pour instruire le fils que le financier prenait avec lui, et pour le conseiller lui-même dans l’acquisition des œuvres d’art. Il pouvait, en outre, se fier à l’expérience de l’aimable Provençal, qui venait précisément de montrer, par ses dessins fournis à l’abbé de Saint-Non pour une grande publication sur les peintures d’Italie, que personne n’y connaissait mieux que lui les galeries, les palais et les églises.

Le voyage devait être long, et il se prolongea, en effet, jusqu’à onze mois. Bergeret ne décida Fragonard à quitter Paris qu’en lui offrant d’emmener sa jeune femme. Il note, à ce sujet, en son journal, des détails qu’il biffera lorsqu’on se sera brouillé : « M. et Mme Fragonard, peintre excellent pour son talent, qui m’est nécessaire surtout en Italie, mais d’ailleurs très commode pour voyager, et toujours égal. Madame se trouve de même, et comme il m’est très utile, j’ai voulu le payer de reconnaissance en lui procurant sa femme, qui a du talent, et en état de goûter un pareil voyage, rare pour une femme. »

Rien ne troublait la bonne entente du départ et l’on était

  1. Bergeret et Fragonard. Journal inédit d’un voyage en Italie, 1773-1774, publié par A. Tornézy. Paris.