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partirent pour Florence et y séjournèrent moins de cinq jours, le temps de visiter en deux matinées « la fameuse galerie, » avec sa Tribune, ses antiques et ses deux cents portraits de peintres, d’aller deux fois à la comédie française établie depuis peu par le Grand-Duc, d’entrer au palais Riccardi, non pour la chapelle de Benozzo Gozzoli, que personne ne mentionne alors, mais pour le plafond de Luca Giordano, représentant l’apothéose de Cosme Ier. Il y a au palais Pitti des peintures « de grande réputation. » Les plus belles pour Bergeret sont la Vierge à la chaise et le plafond de Pierre de Cortone ; celui-ci surtout est admiré : « Quelle couleur et quelle grâce ! Par où commencer pour en faire l’éloge ? C’est une affaire de sentiment qui ne peut se rendre. » Ces élans assez touchans sont assurément inspirés par Frago.

Il a aussi annoncé à ses compagnons les merveilles de Bologne, alors la métropole de l’enseignement de la peinture. Les Carrache y règnent au milieu de leur école, et en sont les maîtres incontestés. Frago retrouve pour eux son enthousiasme juvénile ; Bergeret reste froid et déclare « bien bourgeois » les palais de cette ville comparés à ceux de Gênes. On quitte Bologne « par les plus beaux chemins et les plus beaux pays, les mieux cultivés. » On s’arrête à Cento, patrie du Guerchin, pour faire tirer le rideau devant ses tableaux dans les églises et les couvens. A Ferrare, il n’y a de remarquable qu’une œuvre du même Guerchin et à Padoue, comme chacun sait, rien n’est à voir. Giotto ni Mantegna n’existent pour les amateurs de ce temps ; Padoue n’est qu’une université et aussi le port d’embarquement sur la Brenta, pour les passagers de Venise. Les nôtres arrivent de nuit, par une lune fort claire, dans la ville de Saint-Marc et, bien qu’on ne nous le dise point, ce clair de lune du 18 juillet doit procurer à Frago quelque enchantement.

Les jours suivans, le spectacle des canaux et les surprises des gondoles amusent extrêmement ses compagnons. Mais lui, qui les guide et qui se met pour eux à la recherche de ses souvenirs, quelles impressions ressent-il ? C’est d’abord une désolation véritable de trouver en mauvais état, noircies, presque perdues, des œuvres qui, douze ans plus tôt, ont fait la joie de ses yeux et ravi son imagination de jeune peintre. Le témoignage de Bergeret est formel sur ce point : « A dix heures, je