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m’embarque avec mon monde pour courir les églises. J’en suis peu content, parce qu’il faut voir les tableaux avant d’en juger, et presque tous ont poussé au noir, ou bien se sont tellement gâtés par l’humidité, que l’on ne peut les voir… Ce sont toujours des regrets de voir des tableaux de Véronèse, Tiepolo, souvent mal mis en ordre par l’humidité dans les églises… » Par bonheur, les beaux Tiepolo de la Fava et de Saint-Alvise, ceux du Palais Delfino, ceux du palais Labia surtout, sont encore dans leur fraîcheur ; et Frago en explique la vive ordonnance, les harmonies dorées, met toute son ardeur, toute son âme à faire admirer cet art fraternel. Quelle fortune extraordinaire d’entendre à Venise Tiepolo exalté par Fragonard !


IV

On peut supposer que l’artiste et sa femme, après l’étape vénitienne, comptent rentrer enfin à Paris, comme il est convenu. Mais Bergeret s’est mis en tête d’aller voir la galerie de Dresde, et un voyage d’Allemagne s’ajoute au voyage d’Italie. En huit jours de route « assez vive, » plein d’accidens de montagne, de friponneries de maîtres de poste, d’incommodités aux barrières et aux douanes, en un mot « le plus vilain du voyage, » la bande arrive à Vienne et y séjourne une semaine. Les arts n’y sont point oubliés, quoique la ville « s’en occupe peu. » L’abbé Georgel, chargé des allaires de France en l’absence du prince Louis de Rohan, a procuré les facilités nécessaires « pour jouir des cabinets et y dessiner. » Il s’agit surtout de la bibliothèque de l’Empereur et du palais Liechtenstein, « riche en beaux Rubens et superbes van Dyck. » « J’en rapporte, dit Bergeret, des dessins faits par M. Fragonard. »

A travers la Bohême et la Saxe, où les ruines causées par l’artillerie du roi de Prusse ne sont pas encore relevées, on gagne Dresde. Cette ville fait exception en Allemagne, où « les arts sont endormis, » car l’Electeur tient à honneur de « se prêter à tout progrès. » Dans la jolie capitale des bords de l’Elbe, Frago redevient heureux et pardonne à Bergeret l’ennui du chemin. Pendant les dix jours qu’on y reste, il use avidement des trésors de la galerie et des facilités libéralement offertes aux copistes. Rubens s’y montre incomparable, et le nombre des petits maîtres flamands et hollandais est si grand