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portes de Derbent, passage des antiques exodes, avoir franchi les sauvages défilés du Daghestan, longé les farouches vallées de la Koura, mesuré de l’œil ces pics altiers que le vol même x de l’aigle n’atteint plus, pour se faire une idée de ces guerriers, venus des lointains les plus reculés de l’histoire, au type de beauté parfaite affiné par des siècles d’indépendance. Ce sont eux, peut-être, que voulaient signifier les Grecs ingénieux par ces terribles guerriers que le royal laboureur, ennemi de Jason, voyait surgir du sol de la Colchide après y avoir semé les dents du dragon ! Leur origine est plus vieille que l’histoire ; leur liberté aussi ! Leurs « aouls » inaccessibles, villages fortifiés sur des crêtes de pics, les mi refit à l’abri de tous les jougs. Même lorsqu’au commencement de la seconde moitié du XIXe siècle, la Russie eut contraint à la soumission un de leurs plus grands cheikhs, Chamyl, ils continuèrent à vivre librement dans leurs montagnes, ignorant leurs maîtres et ne voyant dans le tsar qu’un cheikh plus lointain.

Pourtant, lorsque les buccins de la guerre eurent réveillé les échos du Caucase, leur instinct guerrier se révéla. Cavaliers nés, ces montagnards sautèrent en selle et, guidés par leurs mollahs, entraînés par leurs joueurs de flûte, ils dévalèrent des hauteurs pour courir sus a l’ennemi.

Alors, sur tous les sentiers de la montagne, on put faire d’étranges et romanesques rencontres : çà et là, sur un cheval aux formes effilées, à la robe sombre et portant haut la tête, un parfait cavalier chevauche, monté sur une haute selle asiatique. Sous le papakh (bonnet) aux poils roux, on aperçoit de grands yeux d’aigle, un nez aquilin, des lèvres fines aux coins recourbés. La cartouchière pleine barre en croix la tcherkeska (tunique) aux longs pans. Le bachelik[1], rouge ou blanc flotte doucement sur le dos du cavalier, la carabine est posée sur son épaule, canon renversé.

Qu’un chef le rencontre et lui demande :

— Où vas-tu ?

— A tel village, répondra le cavalier.

— Sais-tu comment le rendre là-bas ?

— Pus du tout.

— Alors, que feras-tu ?

  1. Sorte de capuchon à longs pans, coiffure nationale des Circassiens.