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un arbre jusqu’à ce qu’il soit trop criblé de balles pour pouvoir continuer à s’y cramponner, le cavalier tout couvert de blessures et qui livre encore des combats singuliers aux cavaliers ennemis à sa poursuite ! Tous ces blessés, officiers ou soldats, qui oublient ainsi que leur sang coule tant qu’ils en ont encore à perdre, sont l’ordinaire et comme la banalité dans cette sublime multitude. Des milliers d’images et de récits ont popularisé le cri fameux : Debout les morts ! Inoubliable cri de légende qui paraît être sorti de milliers de bouches pour se répercuter, d’un bout de la guerre à l’autre, dans les milliers de cœurs qu’il fait battre !

Je n’ai nullement l’intention de choisir entre tant de héros, ni surtout de les classer et de leur assigner des rangs, mais simplement de présenter quelques-unes des figures qu’il m’a été plus spécialement possible d’étudier, et qui m’ont paru en résumer d’autres par la physionomie de leur vaillance ou de leurs milieux. C’est la belle France et la France immortelle, la France héroïque, la vraie et la bonne France, qui passe dans ces légions de preux et de martyrs dont la vision nous exalte, et c’est un peu d’elle que j’essaie de montrer dans la vie et la mort de quelques-uns d’entre eux !


LE COMTE DE PELLEPORT

Dans les premiers jours du mois d’août 1914, il y avait à Autun, à la 8e compagnie du 29e régiment d’infanterie, un soldat de seconde classe dont la popularité était l’événement de la ville. En même temps que simple fantassin dans sa compagnie, il était aussi, il est vrai, l’un des hommes les plus considérables de la région. Grand propriétaire en Nivernais, apparenté, aux plus nobles familles du pays et porteur lui-même d’un beau nom, sa candidature à la Chambre, comme candidat conservateur et catholique, avait déjà révolutionné, une quinzaine d’années plus tôt, l’arrondissement de Château-Chinon, et sa personne elle-même ne pouvait guère passer inaperçue. Il avait une de ces figures de race, à la fois affinées et énergiques, qui attireront toujours l’attention, et au caractère aristocratique de laquelle ajoutait encore une imposante barbe blanche, comme celle d’un personnage de Rembrandt. C’était le comte de Pelleport. Il avait cinquante-neuf ans.