est, ne l’oublions pas, la qualité maîtresse du savant digne de ce nom — fleurit surtout entre vingt et quarante ans, tandis que c’est surtout à partir de cinquante qu’on trouve dans nos administrations scientifiques les moyens matériels d’y donner libre cours. De sorte que le maximum d’élan vers les fins correspond au minimum des moyens, et réciproquement[1].
Aux États-Unis, Carrel, malgré sa jeunesse et peut-être à cause d’elle, trouva bientôt, grâce à un de ces intelligens et incultes mécènes enrichis dans le négoce ou l’industrie et qui fourmillent là-bas, les moyens matériels (laboratoires, crédits, assistans) qui lui permirent de traduire ses idées en actes.
Et c’est ainsi qu’Alexis Carrel, à l’âge où au pays natal il n’eût guère pu encore sortir de l’impuissance, s’est trouvé aux États-Unis un des jeunes et brillans flambeaux de la science française. Ses travaux si profonds de physiologie qui lui ont valu le prix Nobel sont trop étendus pour qu’il puisse être question de les décrire ici, et si j’y veux faire une brève allusion, c’est seulement parce qu’ils ont donné naissance par une filiation toute naturelle à l’œuvre que Carrel a réalisée en chirurgie de guerre.
On sait que les recherches les plus surprenantes de Carrel à l’Institut Rockefeller se rapportent à la conservation et à la prolifération des tissus animaux en dehors de l’organisme, et qu’ils lui ont donné l’audacieuse idée de transplanter d’un animal à un autre, ou d’un point à un autre d’un même animal, des organes ou morceaux d’organes excisés.
Le haut intérêt philosophique de ces expériences de greffe chirurgicale, les perspectives magiques qu’elles ouvrent aux praticiens de l’avenir sautent aux yeux. Sur un chien, par exemple, Carrel enlève un fragment de l’artère aorte qu’il remplace par une artère d’un autre chien suturée bout à bout dans la coupure de la première. Le succès est complet. Même résultat, — ce qui est encore plus surprenant, — si on suture dans l’artère coupée un fragment de veine. Bientôt le tissu veineux se modifie, se modèle à ses nouvelles fonctions et devient peu à peu du tissu artériel. Étonnant exemple d’adaptation de l’organe à la fonction !
- ↑ Cela est vrai du moins de toutes les sciences expérimentales, de toutes celles où il ne suffit pas, pour produire, d’avoir un cerveau si on n’a aussi des appareils, des laboratoires, des moyens d’expérience. Seules les sciences mathématiques échappent à cette règle, et c’est pourquoi sans doute ces sciences sont les seules où nous soyons, non pas seulement les égaux des premiers, mais hors pair ; et c’est pourquoi sans doute aussi les mathématiques sont les seules sciences où les savans français puissent être célèbres et jeunes à la fois.