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Seigneur ! ayez pitié de nous
Et de notre âme desséchée !

Car plus encor que notre chair,
Notre âme est lasse et sans courage.
Sur nous s’est abattu l’orage
Des eaux, de la flamme et du fer.

Vous nous voyez couverts de boue,
Déchirés, hâves et rendus…
Mais nos cœurs, les avez-vous vus,
Et faut-il, mon Dieu, qu’on l’avoue ?

Nous sommes si privés d’espoir,
La paix est toujours si lointaine,
Que parfois nous savons à peine
Où se trouve notre devoir.

Éclairez-nous dans ce marasme,
Réconfortez-nous, et chassez
L’angoisse des cœurs harasses ;
Ah ! rendez-nous l’enthousiasme !

Mais aux morts, qui tous ont été
Couchés dans la glaise ou le sable,
Donnez le repos ineffable,
Seigneur, ils l’ont bien mérité !


A l’instant même où s’exhalait de la sorte, comme dans le secret d’une confession, ce cri de sa faiblesse physique, sa vaillance et son endurance ne se démentaient cependant pas et son commandant de compagnie le proposait en ces termes pour une citation à l’ordre du régiment : « A fait preuve d’une grande énergie et d’un grand courage, est resté pendant quarante-huit heures aux créneaux de première ligne, pendant un bombardement de grenades, et a abattu plusieurs ennemis. » Ainsi, nerveux et débile, malade et encore blessé, il restait des jours et des nuits sous l’avalanche des grenades, et il abattait des ennemis ! Mais la nature, dans ces moments-là, ne suivait plus chez lui l’âme qu’en hurlant, et de même que toute la joie de ses trente ans s’était exprimée, à une époque, dans le portrait d’un jeune homme de haute et jolie mine à l’œil déjà fixé sur la renommée, publié par une Revue de sa province, tout le supplice de ses derniers jours avait déjà pu se lire