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dans une photographie prise pourtant avant son départ pour le front, mais où le Jean-Marc d’avant la guerre ne se reconnaissait déjà plus. Où était maintenant le fier jeune homme, à l’œil si sûr de l’avenir, dans ce lamentable visage tout hâve d’angoisse et de misère ? Où était le poète de tant de poésies si hautes, et d’autres d’une si belle mousse française, de tant de vers si noblement, si légèrement ou si brillamment ailés ? Qu’était devenu l’être de jeunesse et d’élan pour qui tout ce qui était la France était une fierté et une volupté ? Où était même le gai soldat du départ, si heureux et si enthousiaste ? Il ne restait déjà plus de lui, sur cette amère image, malgré les plaisanteries vaillamment griffonnées au dos, qu’une effrayante figure d’inexprimable détresse !

Hélas ! l’heure n’était plus loin où allait finir tant de souffrance, et une nuit, le 5 juillet, à Souchez, pendant un de ces bombardemens qui font penser à l’Enfer, une bombe le coupait en deux… Au jour, on cherchait son corps, mais on n’en retrouvait plus rien, et tout ce qu’on pouvait savoir, c’est qu’un soldat de son escouade, un de ces « copains » auxquels il était allé un jour porter la soupe sous la mitraille, disait l’avoir vu « émietté » par. un obus dans la lueur des fusées et des explosions…

Dans le Jugement Dernier, à la Chapelle Sixtine, saint Barthélémy, le martyr écorché vif, brandit sa peau sanglante dans ses mains, et la montre aux générations. Ne se retrouve-t-il pas quelque chose du sublime geste du grand saint dans cette histoire de Jean-Marc Bernard, le pauvre poète si faible et si sensible, mais si magnifique par sa douleur et qui l’offre si héroïquement à son pays ?


MAURICE TALMEYR.