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raison pour qu’on se plût soudain à une existence réglée en tous les détails, hiérarchisée au point que nul ne pût faire un pas hors de sa place, et que la fantaisie fût sévèrement bannie — au moins celle qui se révélerait au dehors ; car le diable n’y perd rien ? Quel sentiment éprouvèrent alors, pour accepter ou subir cette vie, les hommes et les femmes appelés à participer au nouveau régime ?

Que ceux de l’ancien qui retrouvaient leurs habitudes, leurs façons, même leurs places et qui servaient d’instituteurs ou de précepteurs, considérassent cette révolution comme une revanche, rien de plus naturel. Le maître avait changé, mais l’antichambre demeurait, et c’était l’essentiel. Que, à quelques degrés au-dessous, des anoblis, tout barbouillés encore de la savonnette de monsieur leur père, s’efforçassent à s’instruire de gestes qu’ils n’avaient jamais faits et, haussés par un coup du ciel aux premiers emplois, prissent une joie infinie, eux qui étaient de finance tout juste, à singer les gens de cour, comment s’en étonner ? Ils allaient se pénétrer si intimement de leur rôle, que nul ne les égala en ingratitude, et que leurs trahisons furent aussi bien réglées que les plus célèbres. Mais les autres, petits nobles ou bourgeois qui s’étaient, dès le début, jetés dans le mouvement, qui devaient leur fortune et leurs grades à la chute du trône et à la proscription des privilégiés, comment admirent-ils un renversement aussi complet de leur politique ? Comment se prêtèrent-ils à ce qui les écartait davantage de ce qui avait paru leur idéal ? Comment se plièrent-ils à l’étiquette, à son formulaire, ses obligations et ses puérilités ? Comment sacrifièrent-ils sur ces autels nouveaux la divine Liberté, au nom de laquelle ils avaient échangé le despotisme nominal d’un tyran couronné contre le despotisme effectif d’un tyran à bonnet rouge ? surtout la divine Égalité qui les avait remplis d’aise en ravalant au-dessous d’eux tout ce qui fut au-dessus ? Comment s’y prirent-ils pour concilier leurs actes de la veille et ceux du lendemain, pour oublier si vite les opinions qu’ils avaient professées, les sermens qu’ils avaient prêtés, voire les crimes qu’ils avaient commis ?

Il suffit sans doute qu’ils crussent prendre dans la société nouvelle le rang que possédaient dans l’ancienne les aristocrates tant jalousés et qu’ils eussent la conviction d’occuper leurs places et de remplir leurs fonctions. Peut-être ne