Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’atroce angoisse de tous ceux qui souffrent avec moi ? Mais quoi ! la guerre est l’école de la souffrance et du sacrifice. Ils souffrent aussi, là-bas, nos enfans, loin de tout, coupés de toutes nouvelles, exposés aux fatigues et aux combats de chaque jour ! Nous leur demandons pourtant la silencieuse acceptation du devoir héroïque. Ils ont le droit de compter sur la nôtre[1].


Et à mesure que le danger se rapproche et s’aggrave, que les nouvelles des atrocités germaniques se précisent, — Badonviller, Etain, Louvain, — la voix d’Albert de Mun se fait plus indignée, plus pressante, plus impérieuse. « Les lettres qu’il reçoit chaque jour, par monceaux, l’encouragent par la pensée qu’il donne une voix à tant d’âmes étouffées d’inquiétude. » Il sent que, par sa plume de journaliste, il remplit l’un des plus hauts, des plus importans services publics du pays. Il se dit « heureux de pouvoir encore donner à la France quelque chose de sa vie. » Le mot de Wellington à Waterloo : « Tenir, tenir jusqu’à la mort » est sa devise, et celle dont il ne cessera de nous vanter l’efficace. Mais la foi ne l’abandonne pas. Quand, le 2 septembre, il quitte, afin de poursuivre librement son œuvre, Paris pour Bordeaux, les dernières paroles qu’il nous laisse, en guise d’adieu, sont les suivantes : « Nous ne voulons pas mourir. Prenons le moyen de vivre. Il n’y en a qu’un, c’est de tenir bon, quoi qu’il arrive, avec la confiance chevillée dans le cœur. »

Et pourtant, « Paris était menacé par eux !  » Sombre pensée, il l’avoue, mais qui ne parvient pas à entamer la foi, réaliste et mystique tout ensemble, qu’il a dans le salut de la France. « Entendant la voix mâle du chef qui commande à la résistance, écrit-il, je sens, comme il y a un mois, mon âme exaltée dans la confiance. » Il « pense plus que jamais » ce qu’il pensait et disait dès l’arrivée des Allemands sur la Somme, à savoir : « qu’une armée qui tenterait une manœuvre semblable, laissant sur son flanc des forces puissantes et organisées, commettrait une folie dont elle serait sûrement châtiée. » Et voilà que peu à peu l’événement lui donne raison. Voilà que s’engage, dans les meilleures conditions possibles, la bataille décisive qui va sauver Paris et refouler le Barbare. Pendant qu’elle s’engage, pendant qu’elle progresse, semblable au prophète hébreu qui, du haut de la montagne sainte, soutenait par ses prières le

  1. La guerre de 1914, p. 99.