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assumer l’autorité, prête-nom de Carnot, qui entendait diriger seul les opérations militaires, le ministre de la Guerre ne tarda pas, au milieu d’embarras qu’il ne pouvait surmonter[1], à souhaiter sa retraite, mais il était résolu à ne point partir les mains vides. Le système des compensations était pratiqué bien avant qu’Azaïs en eût fourni une théorie. Barras a écrit : « Aubert Dubayet était peu propre au travail du cabinet. Il se jugea et fit fort bien de préférer au ministère l’ambassade de Constantinople. Elle offrait carrière à son imagination. Lui aussi croyait qu’il était possible d’opérer quelque amélioration chez les Turcs et d’implanter la civilisation en Orient. »

En réalité, le Directoire faisait coup double : il se débarrassait d’un ministre incapable et il le donnait pour successeur à M. de Verninac qui avait demandé son rappel parce que le traité qu’il avait négocié avec la Porte n’avait point été agréé par le gouvernement. On avait pensé à Pichegru qu’une ambassade eût renfloué. Par là, il aurait été enlevé aux intrigues où il se débattait, il eût réorganisé l’armée turque, l’eût dirigée au besoin contre les Russes et les Autrichiens. Et puis, à quoi serviraient les ambassades, en temps de république, si elles ne faisaient une monnaie d’échange et ne paraient point des exils avantageux ? Le Directoire peupla les légations de généraux disgraciés devenus gênans ou tout le moins suspects. Cela ne lui réussit point pour l’ordinaire.

Dubayet, quand le Directoire lui offrit l’ambassade de Constantinople, vit le ciel ouvert. Il se crut pour le moins vice-empereur des Turcs, et il se destina à leur bonheur : « Organe d’un peuple magnanime, avec quelle douce émotion, disait-il, je présenterai à un peuple ami les nouveaux gages d’une alliance mutuelle et indissoluble ! Ambassadeur de la République, avec quelle assurance imperturbable je déploierai en même temps la dignité de son gouvernement et la majesté de sa puissance ! »

Pour quoi il réclama une escorte qui faisait une petite armée ; une maison militaire composée de deux généraux et deux capitaines ; une mission spéciale où figuraient un chef de

  1. On a tenté de faire un mérite à Dubayet de la nomination de Bonaparte à l’armée d’Italie. Ministre le 12 brumaire an IV (2 novembre 1795), entré en fonctions le 24 brumaire (15 novembre), remplacé le 19 pluviôse (8 février 1796), Dubayet ne put influer sur une nomination qui est en date du 4 ventôse (23 février) ; c’était d’ailleurs un objet réservé au Directoire, dont chacun des membres se vanta par la suite d’avoir découvert le conquérant de l’Italie.