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d’avoir pour amis presque tous les prêtres de l’Église latine.

Les Clusiniens connurent cette bonne fortune, à l’heure où la Papauté avait besoin d’eux, de posséder des abbés qui avaient une longévité de patriarches. Saint Mayeul, saint Odilon, saint Hugues, remplirent à eux trois, de 963 à 1109, une période de cent quarante-quatre ans, et, durant cette période, la Papauté fut sauvée. Le libre monastère qui ne dépendait que du Pape voulait que le Pape ne dépendît plus que de Dieu. Cluny, d’abord, se servit des empereurs pour affranchir le Saint-Siège du joug des barons romains : Odilon collaborait avec Otton III pour l’avènement à la tiare du moine Gerbert, un Français qui venait de Saint-Géraud d’Aurillac, abbaye réformée par Cluny. Après le joug féodal, le joug impérial devait fléchir à son tour : Hildebrand, formé sur l’Aventin par les maximes clunisiennes, concerta sa ruine. Il revendiqua pour l’Eglise la pleine liberté des élections pontificales ; et lorsque sous le nom de Grégoire VII il coiffa la tiare, Hildebrand, pour sa grande œuvre de réforme, fit appel à Cluny.

La force multipliée de ces « moines noirs » militait en tous pays pour l’indépendance du Pape : force souple et rigide, tentaculaire et tout en même temps unifiée, qui par le seul fait de son existence assurait la circulation de la parole pontificale à travers l’Europe. Le jour où Grégoire VII voulut porter à la connaissance du monde chrétien l’encyclique où il déclarait que les princes n’avaient conspiré contre lui que parce qu’il n’avait pas voulu se taire sur les périls de l’Église et céder à ceux qui la mettaient en captivité, il ordonna que cette encyclique fût tout de suite portée à Cluny. Il savait que nulle puissance humaine ne pouvait étouffer les échos de Rome, quand c’était Cluny qui les répercutait. En ce coin de France fonctionnait une sorte de télégraphie spirituelle, qui libérait de toute entrave le verbe du Pape ; elle projetait ses antennes jusqu’en Allemagne, jusque dans la terre obstinée qui, suivant le mot de Guibert de logent, « ne faisait rien que ce qui pouvait peiner et ennuyer le Pape, et résistait toujours aux commandemens de Rome. »

Et la grande œuvre collective, où Rome et Cluny s’associaient, fut parachevée par trois papes issus de Cluny : Urbain II, l’ancien grand prieur ; Pascal II, l’ancien novice ; Calixte II, l’ancien élève de saint Hugues. La solution très pondérée, très