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naissances, de tous les sangs y sont alliés en une grande fraternité d’art, de joie et de pauvreté[1]. » Avec « Julien et Louise, » Alan s’en va, les soirs de printemps, contempler du haut des « fortifs » les milliers d’étoiles qui étincellent sur Paris, la mystique et maternelle cité à laquelle le poète doit les heures les plus radieuses de sa jeunesse : « Auprès des eaux argentées coulant dans les plaines brille l’Ile-Cité, pareille à une constellation, avec ses portes dorées, ses clochers éblouissans et ses dômes brunis, à moitié visibles à travers la brume lumineuse. Oh ! avec quelle opportunité, ici, la terre crée ! Son ample beauté m’apparait telle une féerie !…[2] » Le jeune homme se plonge dans cette « féerie, » avec l’extase du voyageur, arrivant de plages lointaines et abordant dans un pays de songe.

Tout l’accueille, tout lui sourit. Rien encore ne l’étreint de ce qu’il nommera, un jour : « Cette sorte d’affliction qui seule peut développer les profondeurs de l’esprit humain. » En effet, alors seulement qu’il aura fait le choix entre cette vie dont il se hâte de reconnaître les mille et mille visages, comme s’il se sentait sans cesse sur le point de la quitter, et les risques terribles de la guerre, Seeger connaîtra la souffrance qui renouvelle, ennoblit l’art, ajoute à la lyre d’ivoire du poète une corde d’airain. Alors seulement, l’âme fervente d’Alan aura été visitée par la Douleur, déesse au noir péplum, mais ceinte d’astres éclatans, régénératrice, inspiratrice, mère des larmes, maîtresse du songe.

Seeger était à Londres à la fin de juillet 1914, en train de chercher un éditeur pour ses Juvenilia.

Comme un coup de foudre, la nouvelle funeste lui arriva : « Quoi ! La France serait menacée ? Des barbares voudraient attenter à la beauté du monde ? Voiler la lumière ? Paris, la ville de son cœur et de son choix, Paris serait en péril ? »

Serviteur de l’idéal héroïque et romantique, le jeune homme ne brûlait pas seulement de célébrer, dans ses livres, mais aussi de vivre ce romantisme et cet héroïsme. Une occasion magnifique de gloire se dressait devant lui : il la saisit avec délices.

  1. Alan Seeger, Poèmes, 1916.
  2. Id., ibid.