Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/497

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cessa d’un bout à l’autre de l’énorme ville en insomnie. Sur les ponts où brûlaient des torchères, le long des boulevards éclairés de lanternes blanches, autour des brasiers dont la flamme découpait des porches d’ombre à l’entrée des petites rues, la foule sembla pétrifiée. Trois minutes : tout ce que la vie peut donner à la mort !

Et maintenant l’Impératrice s’est à jamais éloignée de sa capitale. Elle retourne au Kyôto de sa jeunesse, à ce Kyôto dont le premier nom de Heian voulait dire calme, tranquillité. Mais ce n’est point au cœur de la ville qu’elle reposera. On lui prépare de grands ombrages à une demi-heure de la cité, près du tombeau de l’Empereur. J’y suis allé deux mois plus tard. Dans les bois, au flanc d’un coteau, l’Empereur dort sous un vaste tumulus qui couronne des étages de gazon vert, séparés par des murs de pierres sèches. La porte de bronze, où resplendit sur chaque battant un chrysanthème d’or, est le seul ouvrage apparent dont la main des hommes a façonné la matière. Les pierres des murs ont été choisies pour la beauté de leur forme et de leur grain. Les grèves de la Mer Intérieure ont fourni le sable qui recouvre le tumulus. Mais, alors que les tumuli des anciens Empereurs se sont désagrégés sous l’action du temps, celui-ci, fait en béton, résistera aux siècles. Tous les soirs, les lanternes de pierre y sont allumées. Elles le furent jour et nuit la première année. Et chaque jour des premières semaines y amena de vingt à trente mille pèlerins. On en comptait encore cinq mille quand je l’ai vu, et bien que ce fût l’époque des grands travaux de la campagne. Nous descendons par un sous-bois, et nous arrivons tout de suite à l’endroit où l’Impératrice attend son tumulus. La terre ne s’ouvrira pour la recevoir que cent jours après les funérailles. Elle attend dans une chapelle en bois blanc sur le versant de la colline ; et, au-dessous, dans une autre chapelle aussi simple, des offices sont célébrés chaque jour en présence des envoyés de la Maison Impériale. Un peloton de soldats gardait l’enceinte.

Cette pompe et ces spectacles n’avaient rien de très nouveau pour moi. Je savais que les Japonais excellent dans le déploiement de ces solennités où ils collaborent avec la mort et la nature. Il n’est guère de peuple qui tienne davantage aux douceurs fugitives de la vie et qui fasse meilleure figure à la mort. La tristesse qu’elle apporte devient chez eux comme une fête