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meurtriers. Le président de la Chambre, les Altesses, les princes, l’état-major visitèrent en grande pompe leurs reliques, et l’empereur encouragea d’un don de cent yen leur exaltation. Ce n’était point une manifestation dirigée contre les Européens, ni même contre la politique shogunale, que l’empereur restauré avait reprise et continuée, — car les traités signés restèrent en vigueur trente ans, — mais contre un régime qui avait rabaissé la majesté impériale. On comprend maintenant toute l’actualité du suicide de Nogi et comment il s’encadrait favorablement dans la prédication du Bushido.

Cette nouvelle religion ne rencontre aucune résistance ouverte. « Je n’aime pas ces formes administratives de la tradition, » me disait un professeur de l’Université. Un autre, qui me parlait du Bushido enseigné dans les écoles, lui reprochait de mettre en formules scientifiques la sensibilité japonaise. (Ce qu’il appelait des formules scientifiques, nous l’appellerions plutôt des dogmes.) Mais, en somme, elle ne gêne que l’esprit critique qui n’est pas très développé au Japon. Les historiens sont tenus d’accepter, sous peine de sacrilège, des dates fabuleuses, comme celle du couronnement de Jimmu Tenno, en 660 avant Jésus-Christ, quand jusqu’au Ve siècle de notre ère il est impossible de trouver la moindre preuve de l’existence d’une monarchie japonaise. Les historiens et les moralistes sont également tenus de supposer que les Japonais ont toujours pratiqué envers leur souverain un loyalisme inconnu dans les autres pays, quand les annales du Japon sont pleines d’insurrections féodales et d’empereurs méprisés, déposés, fugitifs ou réduits à la misère. Il y en eut même d’assassinés : un très sûrement et un autre très probablement, à la veille de la Restauration. Mais enfin les injures que ces monarques eurent à supporter sont moins remarquables que la continuité ininterrompue de leur règne. Si le Bushido n’est pas tout à fait une fiction, il a le tort de s’appuyer sur des fictions et de se solidariser avec des légendes dont il est trop facile de prouver la vanité. Il a le grand tort d’élever autour de l’histoire officielle le même enclos que le shintoïsme autour de ses cérémonies funèbres. Ces barrières peuvent être faites de bambous verts qui symbolisent la pureté de l’intention ; elles n’en sont pas moins des barrières hostiles à la pensée et n’enferment que des ombres et des simulacres.