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protestante ne se composait que de trois familles, ou plutôt de trois noms : les Chandier, les Bianchon et les Popinot. Les artisans se concentraient dans les Boirouge, les Mirouet et les Bongrand.

Toute famille qui n’était pas plus ou moins Chandier-Popinot, Popinot-Chandier, Bianchon-Popinot, Popinot-Bianchon, Chandier-Chandier, Bianchon-Chandier, Bianchon-Grand-bras, Chandier-Grossequille, Popinot primus, etc., ou Boirouge-Mirouet, Mirouet-Bongrand, Bongrand-Boirouge, etc., — car chacun peut inventer les entre-croisemens et les mille variétés de ce kaléidoscope génératif, — cet homme ou cette femme était ou quelque pauvre manouvrier, [ou] vigneron, [ou] dômes-, tique, sans importance dans la ville.

Après ces deux grandes bandes, où les trois races primitives se panachaient elles-mêmes, il se trouvait un troisième clan, dirait Walter Scott, engendré par les alliances entre la bourgeoisie et les artisans. Ainsi, le protestantisme sancerrois avait ses Chandier-Boirouge, ses Popinot-Mirouet et ses Bianchon-Bongrand, d’où jaillissaient d’autres familles, où les noms se triplaient et se sextuplaient.

Il résultait de ce lacis constant des familles un singulier fait : le Mirouet pauvre était étranger au Mirouet riche ; les parens les plus unis n’étaient pas les plus proches ; une Chandier tout court, ouvrière à la journée, venait pour quelques sous travailler chez une Madame Chandier-Popinot, la femme du plus huppé notaire.

Les six navettes sancerroises tissaient perpétuellement une toile humaine, dont chaque lambeau avait sa destinée, serviette ou robe, étoffe splendide ou doublure ; c’était le même sang qui se trouvait dans ce corps, cervelle, lymphe, sang veineux ou artériel, aux pieds, au cœur, dans le poumon, aux mains ou ailleurs.

Ces trois clans exportaient leurs aventureux enfans à Paris, où les uns étaient simples marchands de vin, à l’angle de deux rues, sous la protection de la Ville de Sancerre. Les autres embrassaient la chirurgie, la médecine, étudiaient le droit, ou commerçaient.

Au moment où l’historien écrit cette page de leurs annales, il existe à Paris un Bianchon, illustre docteur, de qui la gloire médicale soutient celle de l’École de Paris. Quel Parisien n’a pas lu sur les murs de sa cité les grandes, affiches de la maison Popinot et compagnie, parfumeurs, rue des Lombards ? N’y a-t-il