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des huiles, à Salé, nourrissant son esprit de la prière, et son corps d’oignons sauvages. Chaque jour, il consacrait plusieurs heures à ramasser sur la grève les épaves apportées par la marée, et de l’argent qu’il en tirait, il achetait du pain pour les pauvres. Cependant, une fois par an, aux approches de la fête du mouton, qui marque la date du pèlerinage à la Mecque, il disparaissait du fondouk le temps que durait la fête, disant qu’il se rendait à quelques lieues de là, tuer le mouton en famille. Douze années consécutives, on le vit ainsi disparaître. Mais des gens de Salé, qui faisaient le pèlerinage, l’ayant rencontré auprès du tombeau du Prophète, on connut bien que douze fois il y, avait été ainsi miraculeusement transporté. Aujourd’hui encore, son tombeau est fréquenté par tous ceux qui portent au cœur le désir de visiter la ville sainte. Il lève les obstacles, fournit les moyens matériels de subvenir aux dépenses du voyage, raccourcit même les distances, et dans la poésie que le très savant, très docte et très intelligent Abbou et Abbas Sidi Ahmed ben Abderrahman el Habi es Slaoui a gravée sur son mausolée, il est nommé le patron des voyageurs.

De son vivant, le saint homme possédait un autre pouvoir, une baraka, comme on dit, vraiment inestimable dans ce pays ardent où le stérile asphodèle couvre d’immenses étendues de sa fleur empoisonnée. Il transformait en légumes exquis, en frais concombres, en citrouilles fondantes, la plante désolée des sables. Aussi, lorsqu’il mourut, ne laissant pour payer les frais de son enterrement qu’un Coran et sept drahem qu’il avait gagnés jadis comme gardien d’une vigne aux environs d’Alexandrie, chacun voulut l’enterrer dans son jardin. Une véritable bataille s’engagea autour de son corps. Tantôt un groupe l’emportait, tantôt un autre, et cette lutte dura de midi jusqu’à minuit. Il demeura d’abord huit jours dans le jardin de Béni et Kassem, qui avait fini par triompher dans la pieuse bagarre. Mais une personne dévote, Menarra bent Ziadat Allah, le fit transporter, à trois kilomètres de Salé, sur une haute falaise qui domine la grève où il avait couru toute sa vie pour ramasser les épaves, et lui fit élever une Kouba qui lui coûta cinq cents dinars.

C’est un lieu qui d’ordinaire est tout à fait sauvage, exception faite du lundi où les femmes stériles viennent se baigner dans une grotte sur laquelle le saint étend sa baraka. La falaise