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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/156

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poignet, et ses lèvres ne peuvent se détacher de ce bras qui essaie vainement de se refuser. Je regarde autour de moi. La salle est bondée de gens du peuple, d’artisans, de campagnards, de femmes et d’enfans : personne ne rit. Notez que le décolletage est inconnu au Japon, que les hommes ne s’agenouillent point devant les femmes, qu’ils ne leur ont jamais baisé la main et que les lèvres japonaises ignorent le baiser. Cependant le monsieur est devenu plus pressant, et la jeune femme s’effare. Heureusement elle avait affaire à un bandit, ce qui autorise l’intervention de la police. Les agens empoignent le séducteur. Le véritable amant prend sa place. La jeune femme tombe éperdument dans ses bras. On ne rit point. Un dernier tableau nous transporte sur les rives d’un lac italien. Les deux amoureux accoudés au balustre d’une terrasse, se tournent l’un vers l’autre. Leurs lèvres se tendent lentement en cul de poule, se joignent, restent jointes ; et trois bonnes minutes s’écoulent avant que le rideau s’abaisse. C’est une école de baiser que ce baiser-là ! Personne ne rit. J’éprouve au milieu de la foule japonaise attentive et presque grave non seulement le dégoût des deux museaux de ces cabotins extasiés qui font des yeux blancs, mais comme une impression gênante d’intimité européenne violée et caricaturée. Que peuvent bien emporter d’un pareil spectacle les femmes et les jeunes filles japonaises, leurs maris et leurs frères ? Ils ne lisent pas comme nous sur la figure des personnages une écœurante vulgarité. Les femmes envient-elles les hommages que reçoivent les Européennes ? Les hommes les considèrent-ils comme une marque de notre faiblesse ? Les relations entre les sexes en sont-elles modifiées ? Il a beau pleuvoir des baisers dans le cinéma : on ne s’en donne pas encore sur le théâtre japonais, et je n’ai jamais vu une mère japonaise qui fit autre chose que de respirer son enfant ou de se frotter la joue contre la sienne. Pourtant les Japonais sont très impressionnables et si enclins à l’imitation que le gouvernement dut interdire les criminels exploits de nos Zigomar, dont le succès propageait une épidémie de vols et de meurtres…

Mais le public ne demande plus seulement au cinéma de lui montrer l’Europe. Il en attend, porté au centuple, le même genre de plaisir que de sa vieille littérature populaire. Il veut du grotesque et du terrible, des dragons, des monstres moitié femmes et moitié bêtes, des ogres, toute une ménagerie