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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/157

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lâchée de créatures chimériques. Plus le film est invraisemblable, plus il en jouit. Je ne crois pas qu’on puisse voir nulle part ailleurs un pareil assemblage de cauchemars. Les Japonais japonisent encore plus le cinéma que le cinéma ne les européanise. Il a favorisé, en les matérialisant, leur goût pour les imaginations délirantes.

Un passage silencieux, à peine éclairé ; l’ombre d’un portique, d’un torii, et, derrière, des chapelles shintoïstes pressées l’une contre l’autre. À l’entrée du passage, quelques personnes, attroupées autour d’une table, regardent un devin lire des sorts sous une lanterne blanche où transparaît en noir l’hexagramme chinois. On est tout près d’une grande rue que sillonnent les tramways. Cependant il semble qu’on soit très loin du Japon moderne, dans quelque vieux coin d’une vieille ville comme Osaka ou Kyoto. De faibles lueurs filtrent sous l’auvent des maisons de bois. Il n’y en a qu’une et, un peu plus loin, une autre, dont la porte ouverte laisse échapper une franche lumière. La première est une salle d’Onna Gidayu ; la seconde, un Yosé. Elles sont fréquentées par les petits commerçans du quartier, des étudians et des amateurs. Le mot Onna signifie femme, et les Onna Gidayu sont des femmes qui chantent des Gidayu, récits chevaleresques accompagnés du shamisen. Ce genre existe au moins depuis deux siècles et demi. Osaka fut la patrie du Gidayu. Mais on imagina bientôt, pendant que la femme chantait, de représenter ce qu’elle chantait par des marionnettes. Puis ces marionnettes devinrent des comédiens. Une sorte de chœur composé de récitateurs et de musiciens continua de psalmodier la partie descriptive et narrative du Gidayu ; et les comédiens, qui se souvenaient d’avoir été en bois, s’immobilisaient dans leurs attitudes jusqu’au moment de reprendre le dialogue. Le mélodrame était né. Aucune de ces formes n’a tué la précédente. Il ne dut jamais y avoir de monstres antédiluviens sur la terre japonaise, sans quoi nous les rencontrerions aujourd’hui mêlés aux tramways et aux cinq cents automobiles qui commencent à faire du bruit dans les rues de la capitale.

La salle est jolie, et ses nattes sont parsemées de femmes et d’hommes comme celles d’une mosquée ? Le rideau s’écarte. Nous voyons deux femmes prosternées, pendant qu’une voix aigre et chevrotante les présente au public et annonce le sujet