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délibérez pas si vous laverez dans le sang l’affront que votre père a reçu. Notre public considérerait que de pareilles hésitations ternissent le miroir d’héroïsme que vous êtes. La fureur vous entraîne. Précipitez-vous à la recherche de votre ennemi. Et vous, seigneur don Sanche, précipitez-vous sur ses pas. — Ah ! dit don Sanche, vous voulez que je l’empêche d’atteindre le père de Chimène ? — Pas du tout. Précipitez-vous d’abord, et vous verrez. »

La nuit tombe. Rodrigue rencontre enfin le comte : « À moi, comte, deux mots ! — Messeigneurs, dit l’auteur japonais, ici, je vous laisse faire. Mais dégainez au plus vite et battez-vous sous nos yeux. Et vous, seigneur don Sanche, approchez à pas de loup. Il s’agit pour vous de commettre la plus heureuse maladresse. Vous avez décidé de tuer Rodrigue par derrière… — Vous n’y pensez pas, s’écria don Sanche, ce serait un acte abominable, et jamais… — Il le faut absolument, répliqua l’auteur japonais, le sourcil froncé et le sourire aux lèvres. — Mais, si je tue Rodrigue, c’est la mort de la tragédie. — Je ne vous dis pas que vous tuerez Rodrigue : vous avez seulement décidé de le tuer ; et, comme l’ombre est épaisse, c’est le comte qui recevra votre coup de sabre en pleine poitrine. — Moi, le meurtrier du comte ! — Écoutez-moi, mon cher seigneur. J’ai autant que vous le souci de ce beau drame. Vous désirez naturellement que Chimène épouse Rodrigue… — Je le désire… pour moi, non ! mais par respect de la tradition, hélas ! oui. — Eh bien ! Rodrigue, chez nous, ne peut pas épouser la fille, s’il a tué le père. Nos principes s’y opposent absolument. — Alors, c’est une autre pièce ! — Non pas : a quoi me serviraient cette nuit sombre et ce croisement de fers dans les ténèbres ? Personne ne vous a vu. Rodrigue croira que le comte est mort de sa main, et tout le monde le croira comme lui. Vous seul saurez la vérité. Dites encore que nous ne vous faisons pas la part belle ! — Merci, répliqua don Sanche : j’aime mieux celle que l’on me fait en Europe, — Attention ! le duel est commencé. Dégainez ! Fendez-vous ! Ça y est ! Le comte est par terre. Sauvez-vous ! Chimène-san, hâtez-vous d’accourir avec une torche. Mais prenez garde de vous empêtrer dans votre robe. Penchez-vous sur le cadavre et dites : « Qui a tué mon père ? — Moi, répond Rodrigue. » Allons, le premier acte est terminé. Ces personnages