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la dégoûtée ? Rassurez-vous ! Nous n’en chargerons pas vos mains. Mais nous tenons à ce que vous n’ignoriez pas que, si Rodrigue vous offrait sa tête en vous tendant son sabre et que si vous la lui coupiez, loin de pousser des cris d’horreur comme on le ferait dans une assemblée de femmelettes européennes, tout notre public vous applaudirait, jusqu’aux petits enfans. Et c’est pourquoi le seigneur Rodrigue ne vous offrira pas sa tête. Le voici ! Vos serviteurs épouvantés vous annoncent qu’il arrive avec une troupe armée… » — « Comme en Espagne, interrompit Chimène, lorsque j’étais à mon balcon. » — « Je ne vous y ai jamais vue, répliqua l’auteur japonais… Vos serviteurs croient qu’il se propose d’assaillir votre maison. Mais vous leur répondez tranquillement : « Qu’il entre ! » Seigneur Rodrigue, ne vous trompez pas : vous ne venez point offrir votre tête ; vous venez vous excuser de ne point l’offrir, puisque votre maitre vous ordonne de marcher à l’ennemi. Et Chimène vous souhaitera de mourir sur le champ de bataille. « Sinon, dit-elle, je serais obligée de demander votre mort. » Vous comprenez à ces mots qu’elle vous aime toujours et vous l’en remerciez. Surtout, ne perdez pas votre temps à discuter sur ce que vous avez fait, comme vous en avez l’habitude en Europe… Mais, au moment où Rodrigue vous quittera, vous courrez vers lui, Chimène-san, et vous vous écrierez : « Je vous ai dit de mourir : non, ne mourez pas ! Je désire revoir encore une fois votre visage ! » C’est un peu hardi. J’espère que notre public ne s’en offensera pas. Nous aurons peut-être les femmes pour nous. Quant aux hommes, j’ai trouvé le moyen de les désarmer. Votre servante vous dira : « Je ne vous comprends pas : tantôt vous voulez qu’il meure et tantôt vous ne le voulez plus ! » Et vous répondrez : «  Ô faiblesse, ton nom est femme. » Mais Chimène s’indigna : « Non, s’écria-t-elle, je ne dirai pas cela ! Je ne suis pas faible. Jamais Corneille ne m’a fait une pareille injure. » — « Vous le direz, repartit froidement l’auteur japonais. D’abord, c’est vrai ; et puis je l’ai lu dans Shakspeare. » Et ainsi finit le second acte.

Au troisième acte, le Japonais invita ses illustres hôtes à se reposer : « J’ai là, dit-il, des gens plus expérimentés que vous et qui se tireront beaucoup mieux d’affaire. » Nous sommes au Sud du Japon, devant les flots. Les Mongols ont débarqué ; et l’armée japonaise recule. Mais la victoire accourt avec Rodrigue.