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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/217

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table, les pots, les verres, les chaises, les buveurs, tout dégringolait de haut en bas… » C’est la seule façon de dégringoler. Et M. Roger conclut : « Saint-Amant étoit un débauché. La nature seule l’avoit fait poète. Le vin lui donnoit de l’enthousiasme… » Cependant, M. Roger note que Saint-Amant composa La Solitude à Belle-Isle : c’est un délicieux poème, où, rêvant tout seul, le poète « s’amuse, — à des discours assez diserts — de son génie avec sa muse ; » c’est un badinage subtil et attentif, tout dépourvu d’ébriété. Au surplus, M. Roger, s’il fut commissaire de la marine à Belle-Isle, Saint-Amant, depuis « plus d’un siècle, » n’y buvait et n’y rimait plus. Il avait, M. Roger, dans sa famille, « de vieux parens, auxquels un de ses ancêtres, sénéchal de l’Ile, ami intime de Saint-Amant, avait transmis ces détails : » il ne faut pas tant de monde, pour colporter des commérages !… La vie de Saint-Amant à Belle-Isle, Saint-Amant lui-même endorme le tableau sans feinte au commencement du Contemplateur. C’est une douce vie de rêverie et de promenade. Il va au bord de la mer et baguenaude ; ou bien, du haut d’une falaise, il regarde voler les oiseaux : le passage d’une colombe le fait songer au déluge, a Noé, au Saint-Esprit. De tels religieux souvenirs, il vient à la philosophie, aux secrets étonnans de la nature, à l’aiguille aimantée qui mène les navigateurs, à la bénignité des (lots qui portent les nids des alcyons. Et, quelquefois, avec ses compagnons illustres, il prend une chaloupe ; et le jeu de pêcher une dorade les divertit. Ou bien, il se cache en quelque abri et, dans un « vénérable livre, » étudie « l’histoire ou la moralité, » qui sont deux choses qu’il ne confond pas. Après cela, il retourne au château, par la grève, quêtant des coquilles et des images. C’est le soir ; il écoute


Le bruit des ailes du silence
Qui vole dans l’obscurité.


Il trouve gaiement couvert mis. A table, il entretient son duc ; et les propos sont délectables, et la chère, et le rire…


Et, pour noyer tout mon souci,
Sur un grand verre je me rue
Où le vin semble rire aussi.


Certes, il boit !… Passé minuit, il se retire et, dans sa chambre, a soin des muses, écrit comment Amour le surmonte ou lui cède ; si la mélancolie le harcèle, il essaye de la charmer par le moyen de son luth et les sons gracieux dissipent son alarme. Ensuite, il est près