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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/241

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au moins de ses adversaires, pour faire face aux autres, avec l’arrière-pensée de désarmer aussi les autres par contre-coup, et, comme elle aurait déduit de l’armistice une paix séparée, de tirer d’une paix séparée la paix générale. Elle ne l’en tirera point, puisque nous ne la voulons pas ; mais ne nous berçons pas non plus de vaines illusions. Quand on a appris que Lénine et Trotsky venaient de conclure l’armistice, certains, chez nous, ont dit : « Tant pis ; l’essentiel est qu’ils ne concluent pas la paix. » Attendons-nous à ce qu’ils concluent la paix, comme ils ont conclu l’armistice. L’Allemagne ne les a poussés où ils sont que pour en arriver là. Elle joue son jeu. Mais nous, avons-nous joué, jouons-nous, allons-nous enfin jouer le nôtre ? Car il y a bien quelque chose à faire, et si l’on nous disait qu’il n’y a rien, alors ce serait que nous n’aurions personne. Eh ! quoi, dans cette Russie que nous avons saturée de nos capitaux, armée de nos canons, dotée de notre outillage, à qui nous avons prodigué notre affection sans réserve et marqué notre fidélité sans défaillance, pour qui nous sommes entrés en guerre, ouvrant à notre flanc une nouvelle plaie par où le sang français a coulé à flots, dans cet énorme Russie, nulle part, nous ne saurions réveiller une sympathie, une énergie ! Dans ce pays idéaliste où ressuscitent les âmes mortes, nous ne saurions trouver et toucher une âme ! Dans cette forêt humaine qui couvre la moitié de l’Europe et la moitié de l’Asie, il n’y aurait que du bois pourri ! Ce sera notre faute, presque autant que la sienne, si nous n’allons pas à ce qui est sain, et si, en le dégageant, en le redressant, en l’étayant, nous ne ramenons pas une partie de ce peuple à son honneur, à son devoir, à son intérêt.

Pour cette besogne urgente, il faut que nous-mêmes soyons dans la plénitude de notre santé. M. le Président du Conseil a fait ce qu’il pouvait pour nous l’assurer. Il a sans retard conformé ses actes a ses écrits et à ses paroles, en déposant sur le bureau de la Chambre une demande de mise en accusation contre deux députés, dont M. Joseph Caillaux est, à tous les égards, et incomparablement, le plus considérable. La Commission de 11 membres nommée pour examiner cette demande l’a accueillie par 9 voix et 2 abstentions, puis elle a approuvé le rapport favorable par 7 voix et, 4 abstentions, fondées sur des motifs différens, et même, pour l’une, opposés. Elle s’est entourée de toutes les formes, et le seul reproche qu’on lui ait adressé est de les avoir peut-être aimées jusqu’à l’excès. Peut-être n’était-il pas besoin de si amples discussions ni d’auditions si dramatiques. Il ne s’agissait, après tout, que de savoir s’il y avait lieu