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chrétiens accueillent avec des transports de joie ces marins dont le secours ne leur sera pas inutile. Parmi eux est un Guinemer, non plus de Saint-Omer, mais de Boulogne. Celui-ci reconnaissant dans le comte Baudouin son seigneur, laisse sa nef et ne veut plus quitter les croisés. « Moult estait riche de ce mauvais gaeng. » L’ancien corsaire alimentera la croisade[1].

Dans un autre chapitre de l’Histoire des Croisades, ce Guinemer assiège Lalische, qui « est une moult noble cité et ancienne, asise seur le rivage de la mer ; c’estoit la seule citez en Surie dont li empereres de Costantinoble estoit sire. » Lalische ou Laodicée en Syrie, Laodicea ad mare, colonie romaine sous Septime-Sévère, fondée sur les ruines de l’ancienne Ramitha, par Seleucus Nicator qui la nomma Laodicée en l’honneur de sa mère Laodice, s’appelle aujourd’hui Latakiéh. Guinemer, qui la croit prendre par force, est assailli à son tour par la garnison qui le fait prisonnier. Baudouin le réclame sous menace et obtient sa délivrance ; l’estimant plus apte à tenir la mer qu’à batailler sur terre, il l’invite à regagner sa nef et à naviguer en vue de la côte, ce que l’ancien corsaire « fit bien volontiers. »

Un catalogue[2] des actes d’Henri Ier, roi de France (1031-1060) mentionne dans le même temps un Guinemer, seigneur de Lillers, qui, pour entreprendre dans son château la construction d’une église, dédiée à Notre-Dame et à saint Orner, avait sollicité l’approbation du Roi. L’approbation est de 1043. Elle intervenait pour compléter l’autorisation de Baudouin, comte de Flandre, et de breu, évêque de Thérouanne, sur la requête du pape Grégoire VI, à qui le constructeur était allé lui-même demander son approbation. Ce Guinemer-là avait-il, comme le corsaire de Jérusalem, une pénitence à accomplir ? Voilà donc, au XIe siècle, bien des Guinemer en chemin, l’un en Palestine, l’autre en Italie. Vers ce même temps, leur famille abandonne les Flandres pour s’installer en Bretagne d’où elle ne quittera plus jusqu’à la Révolution. Le corsaire de Boulogne devient armateur à Saint-Malo : il avait ses raisons

  1. Recueil des Historiens des Croisades. — Historiens occidentaux. t. 1er, L, III, et 23, p. 145 : Comment Guinemerz et il Galiot s’accompainièrent avec Baudouin.
  2. Catalogue des actes d’Henri Ier, roi de France (1031-1060), par Frédéric Soehnée, archiviste aux Archives nationales, élève diplômé des Hautes études (librairie Honoré Champion).