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qui tenait en servitude plusieurs millions de Roumains en Hongrie et en Bukovine. En échange d’un appui militaire, dont la nécessité était au moins problématique, l’alliance rivait à jamais les chaînes de ces frères de race, que le patriotisme de la Romania irredenta aspirait passionnément à briser. Elle n’a eu d’autre avantage que d’ouvrir à la Roumanie les marchés financiers de Vienne et de Berlin. Mais l’argent nécessaire à son organisation économique, l’Etat danubien l’aurait trouvé ailleurs, sans avoir besoin pour cela de conclure une conversion militaire et d’engager son avenir politique.

Au surplus, le Cabinet de Bucarest ne pouvait pas se méprendre, malgré le traité secret et l’amitié impériale qui en avait été la récompense, sur les sentimens des Autrichiens et en particulier sur ceux des Magyars, compresseurs impitoyables de l’élément roumain en Transylvanie. Dans le temps que le roi Carol croyait faussement mettre l’indépendance de son royaume sous la protection de l’aigle autrichienne, ses ministres étaient obligés d’entamer avec l’Empire dualiste une guerre douanière, que motivèrent les exigences des éleveurs hongrois et des fabricans autrichiens. Elle fut péniblement terminée au bout de sept ans, en 1893, par une convention de commerce, dont le renouvellement, en 1906, donna lieu aussi à de laborieuses négociations. Singulière situation que celle de ces deux voisins, appelés peut-être à mêler leur sang sur les champs de bataille, et qui pour l’instant n’arrivaient pas à vivre en bonne intelligence en pratiquant des échanges réguliers, parce que le plus fort prétendait tenir le plus faible sous sa dépendance économique et lui interdire de développer son agriculture et son industrie.


V

C’est l’Allemagne qui profita de l’intransigeance de l’Autriche-Hongrie envers le royaume danubien. Elle réussit à supplanter sa fidèle alliée dans la fourniture d’un grand nombre d’articles fabriqués et à occuper sans conteste le premier rang sur le marché roumain. Dans les deux années qui précédèrent la guerre, la valeur des produits allemands importés en Roumanie monta à 240 millions ; celle des produits austro-hongrois à 138. Pendant la période 1903-1913 l’importation allemande