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s’est rangée aux côtes de la Quadruple Entente. Elle y a été portée par le courant impétueux de l’opinion publique, qu’excitait sans relâche l’éloquence de ses hommes politiques, amis enthousiastes de la France et admirateurs de son héroïsme inflexible. Elle y a été poussée aussi par des espoirs nationaux qu’elle ne pouvait pas renoncer à réaliser : rendre à la liberté, réunir à la mère patrie des millions de Roumains qui, sur l’autre versant des Carpathes, attendaient anxieusement que l’aube de la délivrance vint blanchir la crête de leurs montagnes. Et, d’autre part, plus la guerre s’étendait, plus la situation du royaume danubien, isolé comme un îlot au milieu d’une mer furieuse, devenait précaire. La neutralité n’était plus pour lui qu’une fiction difficile à prolonger, à maintenir intacte, entre les exigences croissantes des deux adversaires, dont l’un prétendait se ravitailler au moyen des récoltes roumaines, et l’autre l’en empêcher. Si les Empires centraux avaient fini par remporter la victoire, une victoire même fragmentaire, circonscrite au front oriental, à quelles représailles, à quels sacrifices ne devait-on pas s’attendre à Bucarest, pour avoir répudié l’engagement signé par le feu Roi ? L’indépendance n’eût-elle pas été en péril ? L’Autriche-Hongrie, maîtresse du Danube, aurait enveloppé la Roumanie dans la servitude, dont elle projetait d’étendre le filet sur la péninsule balkanique, et le dernier flambeau de la civilisation latine dans l’Orient européen se serait éteint sous le souffle du germanisme.


VIII

La lumière se fera complète, implacable, sur les déceptions de la malheureuse campagne de 1916, commencée avec l’entrain de la victoire. Nous sommes trop près de cette tragédie et trop loin en même temps de la scène où elle s’est accomplie pour en parler avec le sang-froid d’un historien. Mais l’armée roumaine, réorganisée, l’hiver suivant, par ses instructeurs français, et brûlant de se venger, était sur le chemin de la revanche, quand la défaillance volontaire de ses auxiliaires russes l’a réduite à la défensive et à l’immobilité.

En prenant les armes pour empêcher l’exécution du crime prémédité par les Puissances germaniques contre la Serbie, la Russie restait fidèle à une politique qui n’était pas sans noblesse.