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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/337

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fondre sur l’Europe. Il n’en fut averti ni par ses alliés de Vienne, qui lui gardaient rancune, ni par ses parens de Berlin ; les uns et les autres se défiaient désormais des Roumains et faisaient mystérieusement des avances aux Bulgares, en leur promettant de déchirer avec eux le traité de Bucarest, qui ne serait, lui aussi, qu’un chiffon de papier.


VII

La santé du vieux monarque était chancelante depuis plusieurs années. La Grande Guerre lui porta un coup fatal. Il sentit d’abord se réveiller avec une ardeur sénile ses sentimens germaniques. Aveuglément fidèle au pacte conclu avec François-Joseph, il réunit un conseil de la couronne et lui demanda d’unir les armes roumaines à celles des Empires centraux contre la Russie. Elle marchait au secours des Serbes, comme il avait fait lui-même l’année précédente. Voilà à quelle contradiction l’entraînait sa funeste politique germanophile ! Mais il ne trouva qu’un vieillard, aussi obstiné dans ses haines qu’intransigeant dans ses idées, Pierre Carp, pour affirmer la validité et la force obligatoire du traité secret. Tous les conseillers du Roi virent, — les uns plus clairement que les autres, — de quel côté étaient le droit, le salut de l’Europe et l’intérêt même de leur pays. La Roumanie resta donc neutre contre le gré de son souverain. Lui qui avait conseillé aux Belges d’augmenter leur armée, afin de mieux défendre leur indépendance et leur neutralité, il ne put se tenir de dire au représentant du roi Albert que c’était folie à la Belgique de n’avoir point livré passage aux Allemands. Nous ne nous attendions pas à entendre ce langage dans la bouche du champion de l’indépendance roumaine.

Son successeur, le roi Ferdinand, élevé comme lui à l’école de l’armée prussienne, a fait à la Roumanie le plus grand sacrifice qu’une patrie d’adoption puisse exiger du prince étranger qu’elle a mis à sa tête. Il a brisé tous les liens qui l’attachaient à son pays d’origine ; il a repoussé l’attraction, plus puissante peut-être encore, du vieux foyer familial, pour n’être plus que Roumain, et il a tiré l’épée contre ses anciens frères d’armes. Inclinons-nous devant la vaillance de ce geste, en songeant à ce qu’il a dû coûter à l’homme qui en fut capable. Dans la seconde année de la guerre, la Roumanie