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est la révélation de la jalousie du cabinet de Pétrograd à l’endroit de la Roumanie. Il va jusqu’à se féliciter des revers de la campagne de 1916, parce que l’échec des grands projets roumains n’était pas défavorable aux intérêts politiques de la Russie. Quelle amertume a dû gonfler le cœur des patriotes roumains à la lecture de ces tristes dépêches ! Quelle justification des défiances des Carp et des Stourdza à l’égard de la grande voisine slave ! Mais ce n’était pas une raison suffisante pour se jeter dans les bras de l’Autriche, qui ne valait pas mieux que sa rivale.

La révolution russe a ouvert la porte non à la liberté, mais à l’anarchie. Le vent révolutionnaire a balayé du même coup le trône qui chancelait et l’esprit militaire qui n’avait jamais paru plus solide, à en juger par les prodiges de vaillance et d’abnégation qu’il avait accomplis sous les obus allemands. La disparition de la Russie du théâtre de la guerre était à prévoir au lendemain même du renversement du tsarisme, aussitôt que le soviet des ouvriers et des soldats de la garnison de Pétrograd se fut dressé en antagoniste de la Douma et du ministère provisoire, qui essayait d’organiser un semblant de gouvernement. Le refus de ces soldats d’aller au front impliquait, si le soviet était vainqueur, la suppression du front lui-même. L’armistice négocié par Lénine et Trotsky, accepté sans déplaisir par toutes les armées qu’avait énervées la propagande des maximalistes, est donc la suite inévitable du triomphe de ces derniers. Que l’armistice conduise plus ou moins lentement, après des résistances plus ou moins fières et des capitulations plus ou moins résignées, à une paix dictée par l’Allemagne, la Russie, dégoûtée de la lutte, n’en aura pas moins mis bas les armes volontairement devant l’ennemie

Comme tout s’enchaîne dans les catastrophes que provoque une guerre, la défection des armées russes a réduit l’armée roumaine à l’impossibilité de continuer la lutte, après l’avoir réduite à l’immobilité. Cette brave armée aura été soutenue jusqu’au bout par la fermeté stoïque de son roi et par l’âme généreuse de sa belle et poétique souveraine. Le sort de la Roumanie, isolée et sans secours en face de la coalition germano-touranienne, remplissait d’angoisse tous les amis de ce noble pays. Jamais elle n’avait paru en si grand péril et jamais elle ne leur avait été aussi chère. Les Alliés, à qui la Roumanie a donné tant de preuves de son courage et de son dévouement