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Ainsi l’esprit jacobin, qui a continué si évidemment d’influer sur nos destinées nationales depuis plus d’un siècle, procéderait de l’esprit classique et ne serait même, à le bien prendre, que l’esprit classique parvenu à son aboutissement, à son terme logique. Cette formule de Taine, une des plus retentissantes et des plus influentes qui soient sorties de ce cerveau si puissamment synthétique, fera l’objet de notre examen critique. Nous lui opposerons une proposition presque directement antagoniste : à notre avis, la véritable source de l’esprit jacobin, qui affirma récemment sous nos yeux sa vitalité par de si patentes manifestations, c’est ce mysticisme chrétien émancipé de ses cadres rationnels et traditionnels que Rousseau a su traduire en paroles plus éloquentes, formuler en phrases plus persuasives qu’aucun de ses contemporains, et qui, depuis lors, sous les figures diverses du romantisme, a influencé la pensée européenne dans la plupart de ses décisions théoriques ou pratiques.

Si d’ailleurs nous nous engageons dans cette discussion de principe, ce n’est certes pas pour diminuer la haute figure morale d’Hippolyte Taine. Nul plus que nous ne conserve de respect à sa mémoire, attaché que nous lui fûmes par les liens de la parenté, de l’amitié et de la sympathie intellectuelle : nous imitons simplement en ceci sa scrupuleuse bonne foi dans la recherche du vrai. Son maître Vacherot avait remarqué, dès sa jeunesse, qu’il formulait trop vite, qu’il aimait les définitions au point de leur sacrifier parfois la réalité. Et, d’autre part, le progrès des sciences historiques ou psychologiques permet nécessairement des synthèses plus amples après un demi-siècle écoulé. C’est pourquoi nous sommes assuré qu’il aurait lui-même encouragé notre tentative, ce grand serviteur de la vérité qui réclamait avant tout de ses amis la critique et qui, au lendemain d’une déception académique, écrivait ces belles paroles : « Je donnerais toutes les satisfactions d’amour-propre pour avoir une idée de plus ou pour bien prouver une idée que j’ai ! »


I

Examinons donc sous quelles influences se forma dans l’esprit de Taine sa conception de l’esprit classique, et, avant tout, rappelons les difficultés de nature spéciale qu’il rencontra dans