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raison naturelle nous paraît avoir sa place légitime dans cet arbre généalogique hasardeux.


V

À la fin de 1875 paraît le premier volume des Origines, celui qui est consacré à l’Ancien régime On n’a pas oublié la vigoureuse allégorie par laquelle l’auteur cherche à traduire aux yeux du lecteur son impression sur la France révolutionnaire. Lorsque, dit-il, on voit un homme de constitution un peu faible, mais d’apparence saine et d’habitudes paisibles, boire avidement une liqueur nouvelle, puis, tout à coup, tomber à terre, l’écume à la bouche, délirer et se débattre dans des convulsions violentes, on devine aisément que le breuvage agréable contenait en solution quelque substance toxique. Or, tel est le spectacle qu’offre la France après s’être désaltérée à la coupe que lui tendit le xviiie siècle philosophique. Il y avait donc un poison dans cette philosophie et c’est la nature de ce poison qu’il s’agit de déceler.

Selon Taine, ce poison-là est d’une essence bien étrange. À l’analyse, il le trouve composé de deux ingrédiens qui, séparés, ont sur l’organisme social une action salutaire, tandis que combinés entre eux, ils se montrent délétères au point que nous venons de dire ! Ce sont d’une part l’acquis scientifique déjà fort imposant du siècle : d’autre part l’esprit classique hérité par lui de son prédécesseur immédiat. — Pour nous, on le sait, notre solution est plus simple : elle a l’avantage de ne présenter rien « d’étrange » ni « de nouveau, » car le poison dont nous constatons les effets nous est dès longtemps connu par ses résultats psychiques et même physiologiques. Les prophètes camisards et les convulsionnaires jansénistes venaient d’en présenter aux yeux les symptômes : c’est le mysticisme dans ses formes extrêmes : en ce cas, un mysticisme chrétien hérétique dont Rousseau s’est révélé le plus persuasif interprète après l’avoir trouvé à peu près mûr déjà dans l’atmosphère morale de son temps.

Mais revenons au commentaire de Taine sur les deux composans qu’il y a cru discerner. Le premier, l’acquis scientifique, est selon lui excellent de tous points et bienfaisant par sa nature même : il constate en particulier le progrès du savoir sur un