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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/376

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frontière, il n’y avait guère plus d’une étape. Les avant-gardes étaient aux bornes-frontières.

L’Alsace-Lorraine devenait ainsi une grande place d’armes offensive sur laquelle le commandement allemand non seulement préparait la concentration de la presque totalité de ses armées dans un espace très restreint, mais plaçait dès le temps de paix une très forte armée, dite de couverture, qui formait en réalité une puissante avant-garde campée à la frontière même.

Et c’est devant cette frontière ouverte, derrière laquelle grondait le flot allemand sans cesse accru, que la France vaincue allait être obligée de monter la garde toujours inquiète, pendant qu’elle essayerait de réparer le désastre et de reprendre son rang en Europe et dans le monde… si l’Allemagne le lui permettait. Car même en ces jours tragiques où nous voyons aujourd’hui les conséquences de la mutilation de 1871 et où nous pouvons avoir la certitude, au prix de sacrifices qu’on ne prévoyait certes pas, de faire payer à l’ennemi quarante-trois années de tourment et d’outrage, il faut se rappeler avec quelles difficultés et avec quelle admirable énergie la France se releva de la défaite de 1870, et cela, sous cette menace qui pesait sur elle. Tandis qu’elle poursuivait le magnifique travail de restauration et de redressement qui a été l’honneur de la troisième République, entre 1872 et 1890, les épreuves ne lui ont pas manqué. A plusieurs reprises, l’Allemagne, de plus en plus militarisée, a voulu se mettre en travers d’une reconstitution dont la rapidité la surprenait et la préoccupait. Dès 1875, quatre ans après le traité de Francfort, peu s’en fallut qu’elle ne se jetât sur notre armée à peine réorganisée et sur les travaux de défense déjà commencés à notre frontière. L’Europe s’émut alors, et un signe de la Russie et de l’Angleterre suffit à arrêter l’agression, signe tardif qui, fait en 1870, eût peut-être préservé l’Europe des malheurs actuels. Plus tard, en 1887, avec l’incident Schnœbelé, la patience de la France subit encore une dure épreuve. Et de 1905 à 1913, nous avons su ce que voulait dire le mot « querelles d’Allemand ! » Mais toutes ces menaces, toutes ces injures, toute cette intimidation auraient-elles pu avoir lieu, si l’Allemagne ne s’était pas sentie dans la situation la plus favorable pour une action militaire ? Et ce n’était pas seulement sur la force de son armée qu’elle comptait, mais certainement sur la position acquise, d’où elle pouvait s’élancer à son gré et à son heure