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entier, aient pu se laisser surprendre et risquer l’asservissement. Vraiment, on se demande aujourd’hui comment on a pu se méprendre sur les dispositions agressives de l’Allemagne, quand l’accroissement formidable de sa puissance militaire était inscrit chaque année dans son budget, dans ses effectifs, dans ses usines, dans toute son organisation méthodique en vue de la domination mondiale. Ce n’est qu’en 1913, lorsque toute l’Allemagne se souleva dans un enthousiasme délirant pour célébrer le centenaire de la guerre d’Indépendance de 1813 et pour fêler un peu plus tard le vingt-cinquième anniversaire de l’avènement de Guillaume II, que la Russie et la France virent clairement le péril. Elles s’associèrent plus étroitement pour y faire face et éloigner l’échéance du conflit certain jusqu’au moment où elles auraient réalisé un programme commun de renforcement. L’Allemagne ne leur en laissa pas le temps. Elle crut ses adversaires plus faibles qu’ils n’étaient.

En effet, chez nous le sentiment national avait été mis en alerte par les incidens du Maroc et d’Alsace-Lorraine. Et sous la pression de l’opinion publique, le Parlement, malgré une opposition inouïe, votait la loi de trois ans. Ce fut une loi de préservation et de sauvegarde, qui aurait pu n’avoir qu’un caractère provisoire, mais qui n’apportait malheureusement aucune modification essentielle à l’organisation de nos réserves. Et c’est sur ce point que Jaurès insista avec autant de raison que de violence. Mais la loi de trois ans apportait du moins le remède au mal causé par la loi de deux ans à notre armée, de couverture. En augmentant de plus de 200 000 hommes notre effectif de paix, elle nous permit de renforcer notre couverture du Nord-Est. Et ce fut le salut du pays.

En effet, ce renforcement de la couverture, en même temps que le Parlement se montrait disposé à voter les crédits nécessaires à la réfection et à l’amélioration de notre matériel et de notre organisation défensive, allait modifier du tout au tout le plan allemand, en précipitant son exécution, et en l’élargissant bien au-delà du champ clos du Nord-Est.

On ne peut douter que l’état-major impérial avait préparé deux plans d’attaque. Il avait certainement cru possible une offensive rapide, avec la masse de son armée active mobilisée, sur les lignes de la Meuse et de la Moselle insuffisamment protégées par notre couverture affaiblie. C’était le coup droit contre