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Zarathustra, le problème relève du biographe de Nietzsche plutôt que de celui de Spitteler[1].

Pour le moment, c’était le silence. Çà et là, quelque lecteur solitaire découvrait le poème, en était touché. Th. Vischer en écrivait à Keller, Keller à Storm ou à C. F. Meyer. L’ami de Spitteler, Widmann, s’évertuait à chercher une revue allemande qui acceptât un compte rendu. Mais en vain. Le public demeura sourd et la critique muette.

Il fallut reprendre une laborieuse existence de professeur de langues vivantes, à Berne d’abord, puis au collège de Neuveville, gagner sa vie « tant bien que mal, et plus mal que bien, et de mal en pis durant dix années. » Les vingt ans qui séparent le Prométhée du Printemps Olympien n’offrent plus une seule grande œuvre, mais uniquement le recueil fragmentaire des Extramundana, des nouvelles, de petits recueils de vers ou d’articles en prose. Ce n’est pas que Spitteler ait renoncé à suivre la voie qu’il a choisie et que lui prescrit une irrésistible vocation. Pas plus que Prométhée il n’a « maudit son âme » ou accepté de la travestir au goût public. Mais trente heures de classe par semaine laissent peu de loisir pour rédiger des œuvres de longue haleine. Spitteler a dit, dans la Personnalité du poète, comment l’insuccès d’une première œuvre trempe et tonifie les âmes fortes, mais ajoute à leur inspiration de l’amertume, de l’âpreté. Cette amertume et cette âpreté sont sensibles dans le pessimisme des Extramundana, dans la virulence des Paraboles littéraires, et jusque dans le sarcasme d’Imago. Mais pareilles à ces fleurs des Alpes qui égayent de leur vif coloris les plus sombres éboulis de roches, les mêmes années voient s’épanouir toute une guirlande d’idylles enfantines ou rustiques, les Ballades héroïques, et les ravissans recueils des Papillons et des Chants de Cloches.


Les Extramundana (1883) sont un témoignage du découragement qui a saisi l’auteur après l’échec de son Prométhée. Sept poèmes « cosmiques » composent le recueil, sept fragmens seuls sauvés du naufrage parmi la soixantaine de plans ébauchés. Dans ces poèmes qui ont pour sujet la création du monde

  1. Spitteler, Meine Beziehungen su Nietzsche. Munich 1908.