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Spitteler s’est marié en 1883) de maigres ressources. Il faut gagner sa vie, coûte que coûte, et pour cela « retomber au rang des chats, des chiens et des choucas. » En attendant le jour où il pourra « rentrer dans sa patrie » qui est la poésie épique, Spitteler se résigne et s’astreint à diverses écoles dont les recueils de cette époque portent le témoignage : école de la rime dans les Papillons, école du rythme dans les Ballades, école de la prose familière dans Friedli, Gustav, Conrad ; « Toutes les œuvres nées entre 1880 et 1889 ont une valeur d’échantillon et d’étude. Sans doute, je ne les ai pas écrites pour le seul but de m’exercer, ce sont bien réellement des œuvres nées d’un besoin spontané. Mais toutes cachent sous leur visière un regard qui tend vers un but supérieur à venir. »

Les Paraboles littéraires et les Ballades[1]servent une double fin : venger l’auteur de l’injuste oubli où tombent ses œuvres, évoquer en images radieuses l’humanité d’élite qui console des laideurs présentes. Des épigrammes cinglantes châtient tous les aigrefins du monde littéraire : mandrilles et babouins qui prétendent transformer en lion l’un des leurs, butors qui veulent apprendre à danser à l’aigle des cimes, mandarins obtus qui préparent à grands frais une réception au miraculeux ibis bleu, mais ne le reconnaissent pas et lui jettent des pierres quand il se pose tout simplement sur leur toit. Tous les règnes de la nature, toutes les histoires et les légendes servent à ridiculiser les envieux, les imbéciles, les matamores, les pirates et les profiteurs qui composent, selon Spitteler, les coteries littéraires triomphantes. En face, et par manière de réconfort, se dressent les héros : héros démens, héros généreux qu’on reconnaît à leur geste chevaleresque, héros audacieux qui saisissent au vol tous les bonheurs et consentent d’avance à les payer de leur vie ou de leur salut éternel ; héros souffrans, en butte à la mesquinerie humaine ou à l’inimitié des dieux. Ce qui est grand, ce n’est pas de réussir, c’est d’ignorer les prudences vulgaires et de tout risquer dans quelque haute aventure ; c’est de dominer, du front, la tourbe ricanante et grossière ; c’est de mourir, comme Parysatis, plutôt que de consentir un seul faux pas, un seul geste disgracieux.

Les Ballades prolongent et amplifient cette galerie d’images

  1. Literarische Gleichnisse, 1892. Balladen, 1898.