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Il était de toute nécessité que les nouveaux engins marchant en terrain découvert fussent à l’épreuve des balles de fusil et de mitrailleuses, sinon leurs occupans eussent été immédiatement mis hors de combat et leurs moteurs hors de service. Or, il faut pratiquement une épaisseur d’acier environ 8 millimètres pour résister à la balle moderne à toute distance. On conçoit immédiatement quel surcroît de poids considérable allait être amené fatalement par le seul blindage protecteur enveloppant l’engin, et qui s’ajoutait au poids des moteurs et de leur combustible, de l’armement, de l’équipage, de la carrosserie. En fait le tank anglais pèse une trentaine de tonnes. Comment déplacer des véhicules aussi lourds dans le terrain chaotique, effondré, bouleversé par les explosions, des premières lignes et surtout de cette zone qui s’étend entre les tranchées et que les Anglais appellent pittoresquement le « No man’s land ? »

La solution à laquelle on s’est arrêté est fort ingénieuse… mais ce n’est pas celle de Wells : Le cuirassé de terre de cet auteur était porté par « une rangée de pieds, — des pieds trapus, épais — de larges, masses plates, rappelant les pieds des éléphans ou les pattes ventouses de la chenille… et ces pieds étaient agrafés, pour ainsi dire, à la jante des roues. »

Deux choses qu’on n’a, je crois, pas assez remarquées sont curieuses dans ce texte de l’ingénieux et scientifique romancier : tout d’abord la comparaison avec la chenille, alors que, étrange coïncidence, le mode de propulsion des tanks porte précisément, et à tort comme nous allons voir, le nom de « chenille. » Ensuite l’évocation des pieds de l’éléphant prouve que Wells a admirablement compris le problème à résoudre et qui se posait ainsi :

Les conditions de propulsion sur un sol mou ou irrégulier d’un véhicule quelconque dépendent surtout de la surface de contact avec le sol des supports du véhicule. Plus cette surface est grande, moins celui-ci s’enfonce, parce que le poids total, la pression totale par centimètre carré sur le sol sont forcément d’autant plus petits que le nombre de ces centimètres carrés est plus grand. Or il est évident qu’un véhicule doit être porté par le sol, sans y enfoncer d’une quantité qui rende impossible son déplacement par le moyen de l’énergie dont il dispose. C’est pourquoi nous ne pouvons circuler sur une couche épaisse de neige fraîche ou de boue sans nous y enlizer, alors