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a été digne de ce que ces œuvres sont, digne aussi des jours où nous sommes, qui les font plus sublimes encore. Oui, « les forces de l’âme, » l’incomparable artiste a su les exprimer par « les forces des sons, » mais également, et d’une façon plus rare peut-être, par leur tranquille et sûre plénitude, par leur calme et leur majesté. Sur nous, en nous, la splendeur pacifique d’un adagio de Mozart, de Beethoven pu de Chopin, grâce à M. Risler, a rayonné. « Pacifique, » fût-ce aujourd’hui, necraignons pas d’écrire le mot, à condition de le bien entendre. Paceêm summa tenent, a dit un ancien. Mais la paix dont il parle et qu’il envie, celle qu’au milieu même de la guerre, le grand art seul nous donne et la seule qu’il nous soit permis de goûter, cette paix ne trône que sur les cimes, ce n’est que là qu’il la faut chercher.

Ne la demandons pas, en ce moment, à la musique de théâtre. Musique « appliquée, » ainsi qu’on l’appelle quelquefois, nous souffrons mal aujourd’hui qu’elle nous « applique, » nous attache nous-mêmes avec elle à de vaines apparences, à des fictions, à des mensonges enfin, alors que la réalité, plus que sérieuse, terrible, nous presse de toutes parts et tout entiers nous possède. Voilà sans doute la première, sinon la seule des raisons qui nous firent prendre un plaisir moins vif à Béatrice qu’aux précédentes comédies lyriques, opéras-comiques, et même opérettes, d’un compositeur aimable entre tous ceux de notre pays. Aussi bien cela n’empêche pas que, s’il y avait pour la musique, comme pour les paroles, une Académie française, elle eût bien fait, avant Béatrice, et même après, d’accorder un prix, un prix de français, à M. André Messager, pour l’ensemble de son œuvre. Il a, le musicien d’Isoline et de la Basoche, de Mme Chrysanthème et de vortunio, voire de Véronique et des P’tites Michu, il a, comme le Daniel Eyssettes d’Alphonse Daudet, « une si jolie manière de dire les choses ! » Non pas toutes, il est vrai, mais les choses délicates, légères, spirituelles, poétiques parfois, qui sont, elles aussi, choses de France. Entre l’opéra-comique et l’opérette, Isoline forme une espèce de compromis ou de passage, et délicieux. Le style en est aussi loin de la fadeur que de la trivialité, de la tension et de la prétention que du relâchement. Tout y est facile et rien n’y est banal. A chaque instant, la plus simple des mélodies, le rythme le plus familier, s’avise d’un tour ou d’un détour heureux, s’avive d’un accent, parfois d’un éclat, qui le relève et semble le renouveler.

La musique de la Basoche, celle du premier acte surtout, chante et sourit encore, d’un peu loin déjà, dans notre mémoire. Maître